Un rapport de la droite sénatoriale propose d’interdire toute transition médicale chez les mineurs en questionnement de genre

Ce rapport parlementaire, remis le 18 mars 2024, provient d'un groupe de travail composé de sénateurs Les Républicains. Jacqueline Eustache-Brinio, élue du Val d'Oise, a été à l'initiative de ces travaux. De son point de vue, "la transition sexuelle des jeunes sera considérée comme l'un des plus grands scandales éthiques de l'histoire de la médecine".

Pour mener à bien cette étude consacrée aux mineurs souffrant d'une dysphorie de genre [1], 67 experts français et internationaux ont été auditionnés.

Le rapport final de 369 pages se termine par 15 préconisations des sénateurs (cf. encadré ci-dessous).

 

Constat d'un "manque de consensus et de débat"[2]

Parmi les personnalités opposées à toute transition médicale avant la majorité, on retrouve notamment la pédopsychiatre Caroline Eliacheff, auditionnée par le groupe de travail du Sénat. Cette dernière parle, dans un ouvrage co-écrit avec Céline Masson, "d'une subculture idéologique contagieuse"[3] se diffusant sous l'influence des réseaux sociaux.
Plusieurs professionnels appellent ainsi à la prudence, comme le pédopsychiatre Christian Flavigny[4], également auditionné, qui insiste sur la notion de maturation psychique de la différence des sexes : "l'enfant est sur ce sujet dans un brouillard psychique que l'adolescent aborde de débrouiller, sans qu'à cet âge encore en construction psychique la compréhension effective du vécu de la différence des sexes soit atteignable. (...) les respecter, c'est aussi considérer qu'ils demeurent en découverte du vécu sexué."[5]
Pour conforter l'interdiction des traitements hormonaux chez les mineurs, le rapport sénatorial met également en avant les témoignages de personnes souhaitant "détransitionner" (qui seraient en augmentation) ainsi que les effets secondaires potentiels des traitements, notamment le risque de stérilité. En effet, même s'il existe des techniques de conservation des gamètes, la façon dont les personnes transgenres pourront les réutiliser demeure incertaine.

D'autres personnalités auditionnées défendent quant à elles la possibilité d'une prise en charge médicamenteuse des mineurs transgenres. Ainsi, pour le pédopsychiatre David Cohen, chef du service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'hôpital Pitié-Salpêtrière à Paris, "une interdiction d'initier des démarches médicales avant la majorité ne changerait rien mais tendrait, au contraire, à aggraver les conséquences."[6]
Dans la même veine, le pédopsychiatre Jean Chambry, chef de pôle du Ciapa (Centre intersectoriel d'accueil pour adolescents) situé dans le 18e arrondissement de Paris, s'oppose à l'idée d'une "épidémie d'enfants transgenres". Selon lui, "ce n'est pas parce qu'on en parle, qu'on crée le sujet".[7] Vu sous cet angle, l'augmentation du nombre de mineurs se déclarant transgenres pourrait s'expliquer par une libération de la parole sur ces questions, et non par une augmentation réelle du nombre de mineurs souffrant d'une dysphorie de genre.

 

La réversibilité de la transition médicale en question

Au niveau terminologique, il convient avant toute chose de distinguer la transition sociale (choix d'un nouveau prénom par exemple[8]), la transition médicale (bloqueurs de puberté et hormones du sexe opposé, œstrogènes ou testostérone) et la transition chirurgicale (torsoplastie, c'est-à-dire réduction du volume mammaire, par exemple).

Selon les personnalités en désaccord avec le rapport sénatorial, les bloqueurs de puberté, prescrits depuis 2010 en France chez des préados se déclarant transgenres, auraient des effets totalement réversibles (la puberté serait mise en pause et reprendrait son cours en cas d'arrêt du traitement[9]) et, de plus, ce traitement permet d'offrir un répit à l'adolescent, pour lui laisser le temps d'explorer et d'affirmer son identité de genre. Toutefois, pour les auteurs du rapport sénatorial, cet argument de la réversibilité serait discutable, notamment dans la mesure où pratiquement aucun enfant n'a cessé de l'utiliser.

Concernant les traitements hormonaux ayant des conséquences irréversibles (hormones du sexe opposé, œstrogènes ou testostérone), il y a bien évidemment le risque que la personne transgenre regrette ensuite la décision prise puisque, comme le rappelle l'Académie nationale de médecine, "il n'existe aucun test permettant de distinguer une dysphorie de genre "structurelle" d'une dysphorie transitoire de l'adolescence".[10]
A cet égard, dans une étude menée en 2021 incluant plus de 17 000 personnes transgenres, 13,1% d'entre elles déclarent avoir détransitionné. Toutefois, 80% de ces personnes déclarent que leur détransition avait été motivée par un ou plusieurs facteurs externes, par exemple une pression exercée par la famille ou une stigmatisation sociale.[11]

 

Une augmentation des demandes et des réponses divergentes d'un pays à l'autre

Ces dernières années, le nombre de mineurs déclarant souffrir d'une dysphorie de genre et sollicitant une prise en charge médicale à ce titre a fortement augmenté dans les pays occidentaux. Ainsi, par exemple, en 2003, le Royal Children's Hospital de Melbourne n'avait pris en charge qu'un seul jeune pour un diagnostic de dysphorie de genre, alors que l'établissement a dépassé les 200 demandes en 2018, et atteint 473 demandes en 2020.[12]
Aujourd'hui, selon l'Association professionnelle mondiale pour la santé des personnes transgenres (WPATH), entre 1,2% et 2,7% des enfants et des adolescentes se déclarent transgenres.[13]

Les législations sur la transidentité des mineurs diffèrent d'un pays à l'autre. En Angleterre, le National Health Service a décidé d'interdire, à partir du 1er avril 2024, la prescription de bloqueurs de puberté à des mineurs. En Floride, toute intervention médico-chirurgicale sur un mineur transgenre est considérée comme de la maltraitance infantile. A l'inverse, les Pays-Bas prennent en charge les mineurs transgenres depuis plus de vingt ans. En Suède, dans un pays pourtant pionnier sur le sujet, les traitements hormonaux ont finalement été interdits pour les mineurs en 2022 (administration désormais réservée au cadre de la recherche).
En France, il n'existe pas à ce jour de recommandations de bonnes pratiques.[14] Depuis 2015, les décisions de transition médicale sont discutées en Réunions de Concertation Pluridisciplinaire[15], en se référant principalement aux directives internationales de la WPATH.

 

Enjeux éthiques relatifs à la transition médicale chez les adolescents

Face à ces situations éthiquement complexes, il s'agit finalement d'opérer un arbitrage entre deux risques. En effet, s'affrontent ici le risque d'entreprendre une transition qui serait ensuite regrettée (atteinte au principe de non-malfaisance, "D'abord ne pas nuire") et le risque d'aggravation du mal-être de l'adolescent (décrochage scolaire, passage à l'acte suicidaire) en l'absence de traitement (perte de chance).
Ainsi, avant chaque décision, à prendre au cas par cas, la balance bénéfice/risque de l'intervention médicale ainsi que la balance bénéfice/risque de l'absence d'intervention médicale doivent tout deux être impérativement évaluées.

Pour éclairer ces arbitrages, l'enjeu de temporalité ainsi que celui du consentement de l'enfant nous semblent devoir être placés au cœur des réflexions.

La question du délai entre la première consultation et une éventuelle prescription médicamenteuse apparaît ici essentielle (délai moyen de dix à quatorze mois actuellement dans la consultation spécialisée pour mineurs transgenres de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris[16]), étant entendu que ce délai est à adapter à chaque situation singulière, en fonction de l'âge du patient, de son degré de maturité, de son vécu et de son état psychologique : "le temps long est parfois requis, parfois contre-indiqué en fonction de chaque situation clinique"[17].
L'Académie nationale de médecine, dans son communiqué du 25 février 2022[18], recommande, dans ces situations, de proposer "un accompagnement psychologique aussi long que possible" et, "en cas de persistance d'une volonté de transition", de prendre une "décision prudente quant au traitement médical par des bloqueurs d'hormones ou des hormones du sexe opposé dans le cadre de Réunions de Concertation Pluridisciplinaire".

L'autre enjeu éthique essentiel concerne la question du consentement libre et éclairé des mineurs. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé stipule que "le consentement du mineur (...) doit être systématiquement recherché s'il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision".
Comment savoir si un adolescent est suffisamment mûr, autonome et compétent pour consentir, au sens moral du terme[19], à un traitement hormonal ? S'il ne fait aucun doute que les mineurs peuvent prendre part très tôt aux décisions qui les concernent, à partir de quel âge peut-on considérer qu'ils sont à même de s'abstraire de toute pression pour décider pour eux-mêmes ? Sur le plan légal, rappelons que, sauf dans certaines situations dérogatoires, le consentement du seul mineur ne suffit pas. Ainsi, la prescription d'un traitement hormonal à un mineur se déclarant transgenre ne pourra pas se faire sans l'autorisation de ses parents. Toutefois, les parents "ne consentent pas au sens moral du terme puisqu'en réalité, on ne peut consentir à la place d'un autre"[20]. C'est la raison pour laquelle, selon le degré de maturité de l'enfant, sa voix sera prise en considération.
Pour permettre la participation du mineur à la décision, la qualité de l'information qui lui est transmise (notamment sur les incertitudes en termes d'effets secondaires) est centrale afin de l'éclairer dans ses questionnements et sa compréhension des implications selon l'option choisie. En outre, il s'agit de vérifier que sa demande est bien constante, réitérée, et son désir de transitionner perdure dans le temps.[21]

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En définitive, sommes-nous face à un phénomène de contagion sociale, ou bien faut-il considérer que la libération de la parole des adolescents met à jour des dysphories de genre jusque-là méconnues ?

Quoi qu'il en soit, pour un clinicien, l'expression d'une souffrance ne se discute pas : elle appelle une écoute et une réponse singulière. Légiférer sur une interdiction générale de toute transition médicale au nom de la protection des mineurs pourrait être de nature à empêcher toute guidance. Ces mineurs, livrés à eux-mêmes parce que sans espoir de prise en charge immédiatement soulageante, pourraient être tentés de s'automédiquer sans bénéficier d'un accompagnement adapté.

 

Anne-Caroline Clause-Verdreau

 


Références

[1] Chez les personnes souffrant d'une dysphorie de genre, l'identité de genre assignée à leur naissance ne correspond pas à l'identité de genre ressentie.
[2] Synthèse du rapport "La transidentification des mineurs", Sénat Les Républicains, mars 2024
[3] C. Eliacheff et C. Masson, La Fabrique de l'enfant transgenre, éd. de l'Observatoire, 2022
[4] C. Flavigny, Aider les enfants "transgenres" : contre l'américanisation des soins, Pierre Téqui éditeur, 2021
[5] Rapport "La transidentification des mineurs", Sénat Les Républicains, mars 2024, p. 104
[6] Rapport "La transidentification des mineurs", Sénat Les Républicains, mars 2024, p. 90
[7] "Jean Chambry, un pédopsychiatre à l'écoute des jeunes trans", par N. Brafman, Le Monde, 6 janvier 2024
[8] Depuis la "circulaire Blanquer" de 2021, un élève transgenre peut, avec l'accord de ses parents, demander à être appelé par un prénom qu'il a choisi plutôt que celui inscrit à l'état civil.
[9] C. Davies and al., The importance of informed fertility counselling for trans young people, Lancet Child & Adolescent Health, Vol. 5, Issue 9, E36-E37, Sept 2021
[10] "La médecine face à la transidentité de genre chez les enfants et les adolescents", Communiqué de l'Académie nationale de médecine, publié le 25 février 2022
[11] JL. Turban and al., Factors leading to "Detransition" Among Transgender and Gender Diverse People in the United States: A Mixed-Methods Analysis, LGBT Health, Vol. 8, N° 4, June 2021
[12] https://www.rch.org.au/adolescent-medicine/gender-service/The_Gender_Service_background,_funding_and_program_logic/
[13] E. Coleman and al., Standards of Care for the Health of Transgender and Gender Diverse People, Version 8, International Journal of Transgender Health, Vol. 23, S1, S1-S259, Sept 2022
[14] La Haute Autorité de Santé (HAS) devrait publier courant 2024 des recommandations pour la prise en charge des personnes transgenres âgées de 16 ans et plus et, concernant les mineurs de moins de 16 ans, un groupe de travail devrait être mis en place en 2025.
[15] A. Condat, D. Cohen, La prise en charge des enfants, adolescentes et adolescents transgenres en France : controverses récentes et enjeux éthiques, Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, Vol. 70, Issue 8, décembre 2022
[16] C. Lagrange et al., Profils cliniques et prise en charge des enfants et adolescents transgenres dans une consultation spécialisée d'Île-de-France, Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, Vol. 71, N° 5, septembre 2023
[17] A. Condat, D. Cohen, La prise en charge des enfants, adolescentes et adolescents transgenres en France : controverses récentes et enjeux éthiques, Neuropsychiatrie de l'Enfance et de l'Adolescence, Vol. 70, Issue 8, décembre 2022
[18] "La médecine face à la transidentité de genre chez les enfants et les adolescents", Communiqué de l'Académie nationale de médecine, publié le 25 février 2022
[19] A distinguer du consentement au sens légal du terme qui ne peut intervenir qu'à la majorité.
[20] R. Cremer, S. Bin-Dorel, D. Ploin, Consentement de l'enfant et autorité parentale, Revue du Praticien, 70, 219
[21] E. Remaud, Des pistes de réflexion sur les enjeux éthiques de l'accompagnement et de la reconnaissance de l'autonomie des mineurs transgenres en France, Med Sci, Vol. 39, N° 1, janvier 2023


Télécharger le rapport sur le site du Groupe Les Républicains au Sénat

 

 

Les 15 préconisations du rapport sénatorial (20 mars 2024) :

1. Imposer l'évaluation et le diagnostic de la transidentité des mineurs par des équipes pédopsychiatriques de proximité (CMP, services pédopsychiatriques, Maison des adolescents, CMPP, pédopsychiatres de ville etc...).
2. En présence de troubles psychopathologiques et/ou neurodéveloppementaux, prévoir, en première intention, une prise en charge psychiatrique et/ou psychothérapeutique de l'enfant et de sa famille.
3. Si la détresse liée au genre perdure depuis la petite enfance, que le jeune ne présente aucun trouble psychopathologique majeur associé, dans cette seule situation, adresser le mineur vers un service spécialisé dans l'incongruence de genre, à l'instar de ce qui est pratiqué dans plusieurs pays d'Europe du nord.
4. Interdire la prescription de bloqueurs de puberté aux mineurs pour l'indication de dysphorie de genre. (Pour les jeunes actuellement sous traitement, celui-ci ne sera pas interrompu. Au moment de la prescription des hormones croisées (si celle-ci reste souhaitée) : réévaluation de l'état psychologique du jeune, de sa prise en charge et de son consentement.)
5. Interdire la chirurgie dite de réassignation sexuelle aux mineurs. Par ailleurs, les apports récents des neurosciences au sujet de la maturité du cerveau montrent que celui-ci continue d'évoluer jusqu'à 25 ans, incitant à la prudence pour toute " réassignation " chirurgicale avant cet âge.
6. Interdire la prescription et l'administration d'hormones croisées à tous les mineurs.
7. Prévoir un accueil spécifique à l'hôpital pour les personnes qui souhaitent détransitionner et favoriser la recherche sur la qualité des soins à leur apporter.
8. Préconiser, dans le domaine de la recherche, la revue systématique des données, fondée sur les preuves à l'instar des pratiques EBM (evidence based medicine) appliquées en médecine. 2. Préconisations dans le domaine scolaire et administratif
9. Abroger la circulaire, dite " Blanquer ", du 29 septembre 2021, " Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire ". Parce qu'elle crée un régime d'exception pour les " élèves transgenres ", la circulaire remet en cause les principes de neutralité et d'égalité au sein de l'institution scolaire.
10. Remplacer la circulaire par une note de service afin de sécuriser les personnels de l'Éducation nationale, désigner les enfants comme " enfants en questionnement de genre " et non plus " enfants transgenres ". L'objet de la note de service est d'aider les personnels à se positionner clairement dans le respect des lois existantes, en restant neutres.
11. Veiller au respect par l'Éducation nationale de l'état civil de l'enfant (prénom et sexe). La controverse scientifique et médicale concernant l'impact de la transition sociale sur les mineurs invite à rester neutre à l'école.
12. Protéger les espaces non mixtes s'agissant des sanitaires, douches et vestiaires dans les établissements scolaires.
13. Interdire l'intervention auprès des élèves, dans les établissements scolaires, des associations qui ne respectent pas le principe de neutralité de l'Éducation nationale.
14. Mettre en place une veille, au sein du ministère de l'Éducation nationale, sur le contenu des manuels scolaires mis à disposition des enfants et adolescents concernant l'identité sexuelle, dans un principe de neutralité de l'école.
15. Prévoir que les formulaires administratifs, actes, questionnaires, documents, etc. diffusés par une personne publique, ou une personne privée agissant dans le cadre d'une délégation de service public, ne puissent comporter que la mention du sexe masculin ou féminin.