Avis 145 du CCNE : « Le cadre de l'évaluation éthique de la recherche clinique. Favoriser la recherche clinique sans affaiblir la protection des personnes ».

Favoriser la recherche clinique sans affaiblir la protection des personnes : avis 145 du CCNE

 Le 2 avril 2024, le Comité Consultatif National d'Éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) a annoncé la publication de son Avis 145, intitulé « Le cadre de l'évaluation éthique de la recherche clinique. Favoriser la recherche clinique sans affaiblir la protection des personnes ».

Cet Avis répond à une saisine conjointe des ministres chargés de l'Enseignement supérieur et de la recherche et de la Santé et de la prévention, face au constat d'un alourdissement des procédures d'autorisation des essais cliniques, aboutissant à des délais que certains acteurs estiment excessifs et responsables d'une perte d'attractivité de la France en matière de recherche clinique.[1]
Le CCNE estime que ces critiques sont en partie fondées et propose, à la fin son Avis, une série de dix recommandations pour concilier efficacité de la recherche clinique et respect des principes éthiques fondamentaux. Un avertissement de Didier Sicard, ancien président du CCNE, est rappelé en préambule : " la façon dont la recherche sur l'homme est pratiquée constitue le repère éthique central et le meilleur témoignage du respect de la personne "[2]. Même si, dans le paysage français et européen, le cadre juridique actuel repose sur des principes éthiques désormais universellement reconnus (notamment le recueil du consentement libre et éclairé des participants, la transparence des résultats, le double examen scientifique et éthique des projets de recherche[3]), une vigilance éthique forte doit continuer de s'imposer face aux risques de dérives potentielles de la recherche médicale.

Il convient, en effet, de se remémorer les expérimentations conduites par des chercheurs, pour la plupart médecins, dans les camps de concentration et d'extermination. La révélation de ces atrocités, lors du procès des médecins nazis, a conduit à la rédaction du code de Nuremberg en 1947.[4] Ce dernier se compose de dix critères fondamentaux en matière d'expériences médicales et insiste principalement sur la notion de consentement éclairé.[5]

Néanmoins, ignorant les leçons du procès de Nuremberg, des recherches médicales scandaleuses ont continué d'être menées dans les pays occidentaux pendant plusieurs décennies (notamment sur des détenus, des condamnés à mort ou des handicapés). Une des plus médiatisées fut la Tuskegee Syphilis Study, débutée en 1932 et révélée en 1972, qui avait pour objectif de documenter l'histoire naturelle de la maladie. Alors même que les premiers traitements contre la syphilis ont été découverts dans les années 1940, des centaines de patients afro-américains ont ainsi été inclus dans cette étude sans pouvoir en bénéficier. Comment expliquer ce mépris des enseignements du passé ? Une explication peut être avancée : " l'opinion publique et surtout les médecins-investigateurs n'ont voulu voir dans les méthodes allemandes que l'expression de la folie meurtrière des nazis, sans se remettre eux-mêmes en question le moins du monde "[6].
Dans les suites de ce scandale, une commission nationale américaine [7] est chargée par les autorités d'élaborer un cadre éthique pour la recherche clinique. Le Rapport Belmont, sorti en 1979, définira ainsi les trois principes éthiques de base de la recherche : le respect des personnes impliquant leur autonomie ; le principe de bienfaisance ; le principe de justice. Ce dernier principe implique notamment de veiller à ce que les risques éventuels ne soient pas supportés par des personnes défavorisées ou vulnérables au bénéfice essentiel de personnes favorisées.

Aujourd'hui, dans un contexte où la recherche médicale est porteuse de nouvelles promesses face à la maladie, protéger les participants demeure une exigence absolue.

Dans cette perspective, le CCNE considère que les Comités de protection des personnes (CPP) détiennent un rôle essentiel de vigilance éthique en la matière. Les CPP sont les héritiers des CCPRB (Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale), instaurés par la loi Huriet-Sérusclat, votée en 1988, qui a encadré la recherche médicale en France.[8] Depuis la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, les CPP ne sont plus des instances consultatives ; il faut obligatoirement obtenir un avis favorable d'un CPP pour pouvoir débuter une recherche impliquant la personne humaine. Dans sa première recommandation, l'Avis 145 insiste sur la compétence existante des CPP et propose de la renforcer grâce à la constitution d'une liste nationale d'experts, susceptibles de les éclairer lors de l'examen éthique d'essais très spécialisés.
Le CCNE recommande aussi de défendre la contribution des CPP à la démocratie en santé grâce à la diversité de leurs membres, la participation de représentants des usagers et une répartition optimale des comités sur l'ensemble du territoire. L'Avis invite donc à considérer avec prudence la perspective d'une réduction du nombre des CPP (actuellement au nombre de 39). (recommandation n° 3)
A ces égards, Virginie Rage-Andrieu et François Hirsch, auditionnés par le groupe de travail du CCNE, rappelle, dans un article récent, que " les CPP sont le maillon essentiel de la confiance qui doit régner entre les participants à ces recherches et leurs opérateurs " et que " cette confiance (...) est capitale pour assurer le développement de la recherche clinique en France ".[9]

Par ailleurs, dans sa recommandation n° 9, l'Avis 145 préconise d'améliorer l'information des personnes qui se prêtent à une recherche clinique (rédaction systématique d'un résumé accessible de la notice d'information et de consentement[10], facilitation des liens avec les associations de patients agréées) afin qu'elles puissent consentir en toute connaissance des objectifs de la recherche et des risques potentiels pour elles-mêmes.

En outre, l'Avis aborde également les défis posés par les nouvelles modalités de la recherche médicale : d'une part, les études menées sur un très petit nombre de patients (les maladies rares concernant quelques dizaines de personnes) et, d'autre part, les études conduites sur d'immenses bases de données (les " big data "). Dans un cas comme dans l'autre, l'approche conventionnelle des essais randomisés (par tirage au sort) n'est pas applicable. Dans sa recommandation n° 2, le CCNE recommande donc de former les membres des CPP aux enjeux éthiques spécifiques à ces types d'études.

Anne-Caroline Clause-Verdreau

 Références

  • [1] Disponible en ligne
  • [2] D. Sicard, L'éthique médicale et la bioéthique, PUF, 2009
  • [3] En France, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) examine la pertinence scientifique du projet et un Comité de protection des personnes (CPP) évalue si le projet en question respecte les grands principes éthiques de la recherche médicale.
  • [4] Ce mouvement de protection des personnes, initié par le Code de Nuremberg, s'est prolongé par la déclaration d'Helsinki en 1964, texte de référence international en matière de recherche sur l'humain, puis par la Convention d'Oviedo en 1997, ratifiée par la France en 2012.
  • [5] A propos de cet événement historique fondamental, voir l'ouvrage de B. Halioua, Le procès des médecins de Nuremberg. L'irruption de l'éthique biomédicale, éditions érès, 2017 (édition originale parue chez Vuibert en 2007)
  • [6] F. Lemaire, Les 60 ans du procès des médecins de Nuremberg. Pourquoi le Code n'a-t-il pas été appliqué avant plusieurs décennies ?, Med Sci, n° 11, vol. 23, novembre 2007 ; E. Shuster, Fifty years later: the significance of the Nuremberg code, N Engl J Med, 1997
  • [7] The National Commission for the protection of human subjects of biomedical and behavioral research.
  • [8] V. Rage-Andrieu et F. Hirsch, Les Comités de protection des personnes. Le maillon éthique de l'encadrement de la recherche clinique française, Med Sci, n° 6-7, vol. 37, juin 2021
  • [9] Ibid.
  • [10] Voir à ce propos D. Gozlan et al., Vers un consentement plus éclairé - Rendre l'information accessible, Med Sci, n° 8-9, vol. 39, août-septembre 2023