Le CCNE et la FHF condamnent la suppression de l'aide médicale d'Etat

A l'heure où des menaces pèsent sur l'aide médicale d'Etat (AME) à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, deux instances majeures font part de leur préoccupations. C'est l'occasion de rappeler le rôle de l'AME dans le dispositif de santé publique français.

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Le 12 octobre 2023, le Conseil consultatif national d'éthique (CCNE) a publié un communiqué de mise en garde au sujet de la suppression possible de l'aide médicale d'Etat (AME) à l'occasion de de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration. Il se fondait sur les principes d'universalité du devoir de fraternité à l’égard de tous les migrants ou réfugiés, quels que soient les pays d’où ils proviennent et les causes de leur départ déjà développés dans son avis N°127 sur la santé des migrants. Le principe d'équité, garantissant à tous l'accès aux soins et au bien-être physique, mental et social, y était également réaffirmé, de même que le fait que "la santé, au sens de la définition que donne l’OMS, ne doit en aucun cas pouvoir être instrumentalisée, notamment en maintenant de mauvaises conditions sanitaires comme outil de refoulement".

Le 8 novembre, à la suite de la suppression de l'AME par le Sénat, la Fédération Hospitalière de France (FHF), qui regroupe les Hôpitaux publics, a publié un communiqué qui dénonce un contresens moral, sanitaire et politique. Il rappelle que l'AME finançait des soins qui seront dispensés quoi qu'il en soit, au nom des obligations déontologiques et morales des soignants dans les hôpitaux publics et que cette suppression fragilisera les hôpitaux publics déjà soumis à des tensions budgétaires fortes. Elle placera également les soignants et professionnels de santé dans une situation de dilemme éthique et déontologique inacceptable : refuser des soins nécessaires et un soulagement de la souffrance ou soigner en dégradant la situation budgétaire de leur établissement.


 Dans ce contexte, il nous est paru utile de faire une mise au point sur les principes sur lesquels reposent les différents types de financement des soins aux personnes étrangères sur le sol français.

Les étrangers résidant en France de manière légale sont affiliés s'ils en font la demande, tout comme les nationaux, à la Protection Universelle Maladie (PUMA) de la sécurité sociale qui constitue le régime général de prise en charge des frais de soin.

Les étrangers résidant en France de manière illégale peuvent être pris en charge sous certaines conditions par l'AME, financée par l'État. Cette aide reste cependant limitée, puisqu'il est précisé dans le Code de l'action sociale que "seuls sont pris en charge les soins urgents dont l'absence mettrait en jeu le pronostic vital ou pourrait conduire à une altération grave et durable de l'état de santé de la personne ou de l'enfant à naître" [1]. Si le texte de loi reste assez général, celui-ci est précisé et interprété par les acteurs sociaux. L'expérience de ce texte de loi en explicite le sens : l'urgence se caractérise par un problème de santé inopiné, demandant des soins immédiats et de court terme. Au delà de cette notion d'urgence, les actes de prévention (suivi des grossesses, suivi des enfants) et des actes de médecine de ville sont inclus dans cette définition. Pour éviter que des étrangers n'entreprennent un voyage en France uniquement dans le but de bénéficier de soins inaccessibles dans leur pays d'origine (démarche improprement appelée "tourisme médical"), l'AME n'est accessible qu'après un séjour de trois mois sur le territoire, sous conditions de ressources. Les demandeurs d’asile venant d’arriver sur le territoire et les personnes en situation irrégulière peuvent bénéficier de la prise en charge hospitalière des soins urgents, durant le délai de trois mois au cours duquel ils ne relèvent pas de l'AME.

 La PUMA est en France la forme la plus contemporaine des entraides sociales de santé fondées sur la solidarité par cotisation : des individus joignent leurs forces financières au sein de systèmes de mutualisation des coûts, de formes privées au Moyen-Âge et durant l'époque moderne, et évoluant à partir du début du XXe siècle vers les formes publiques et étatiques actuelles [2]. Cette solidarité était essentiellement financée par des adhésions volontaires dans le cadre professionnel, puis par des cotisations salariales obligatoires, jusqu'à la loi de 1990 diversifiant ces sources par la création d'un impôt, la Contribution Sociale Généralisée (CSG), élargissant le sens d'une solidarité de travailleurs vers celle d'une solidarité de citoyens [3]. Les valeurs aux fondements de l'actuelle PUMA sont donc l'entraide et la participation.

Qu'en est-il de l'AME ? Cette aide tire son origine d'une nécessité morale ressentie par les sociétés de porter secours aux plus pauvres ne pouvant entrer dans des systèmes de participation financière. Elle repose historiquement sur un principe de compassion. L'expression en actes de cette compassion fut endossée institutionnellement en occident avec l'avènement d'un christianisme d'État sous Justinien [4], donnant naissance à une forme de lieu destiné à l'accueil charitable des plus démunis, l'hôpital, dont la mission n'était pas encore d'apporter principalement des soins médicaux, mais de venir en aide aux miséreux, estropiés, vieillards et exclus [5]. Cette prise en charge de ceux qui ne peuvent s'aider eux-mêmes, sans distinguer les nationaux des étrangers, est un dessein universaliste perpétué depuis lors par le christianisme sous le nom de charité, et qui sera repris et reformulé par les hommes des Lumières dans leur conception laïque de la fraternité.

C'est cette valeur compassionnelle envers le genre humain qu'endosse aujourd'hui l'AME : son ancêtre l'Aide Médicale Gratuite (AMG) proposée de 1993 à 2000 était destinée aux malades les plus pauvres résidant en France, Français comme étrangers. À partir la loi 99-641 du 27 juillet 1999, entrée en vigueur en 2000, qui étend l'assurance maladie aux Français les plus pauvres, l'AMG est devenue l'AME et s'est spécialisée dans l'aide aux étrangers illégaux sans ressources, en conservant donc sa vocation humanitaire universelle.


 Références

  1. Code de l'action sociale et des familles, Article L254-1, issu de l'art. 97 de la loi de finances rectificative pour 2003 du 30 décembre 2003.

  2. GRELLEY Pierre, " Contrepoint - La protection sociale avant la "Sécu" ", Informations sociales, vol. 189, n° 3, 2015, pp. 20-20.

  3. IZAMBERT Caroline, " L'accès des sans-papiers à une couverture maladie en France depuis 1999 ", dans Les Cahiers de Georges Canguilhem, 2014/1, n° 6, p. 205.

  4. IMBERT Jean (dir.), Histoire des hôpitaux en France. Toulouse : Éditions Privat, 1982, chapitre "Les premiers hôpitaux", p.15-32.

  5. RISLEY Mary, House of healing : The Story of the Hospital. New York : Doubleday & Company, inc., 1961, chapitre "monastic hospitals", p. 93-101.