Dans le cadre des états généraux de la maltraitance, Mme Anne Caron-Déglise, avocate générale à la Cour de cassation, a remis le 18 juillet son rapport sur la protection juridique des majeurs.

Ce rapport de 55 pages s'intitule "Penser les protections juridique et sociale à partir des droits des personnes les plus vulnérables à être entendues et soutenues dans une société solidaire". Il formule 35 propositions.

Synthèse du rapport

Le dispositif juridique général de protection des personnes adultes est insuffisamment connu des personnes concernées elles-mêmes, des familles, de leurs proches et des intervenants qui ne parviennent toujours pas à s’en saisir dans une approche plus globale des droits et des besoins des personnes et de leurs aidants.

Pourtant, l’approche des maladies chroniques, du handicap, du vieillissement, de la transition démographique, du « Bien vieillir », implique de pouvoir être reconnu dans ses droits, ses préférences et ses refus et d’exercer le plus pleinement possible sa capacité juridique. Celle-ci est présumée pour tous les adultes. Même si elle peut, sur décision d’un juge judiciaire, être limitée pour un temps déterminé en raison d’une altération des facultés personnelles médicalement constatée, elle n’est jamais anéantie. 


Pour parvenir à l’effectivité des droits des personnes particulièrement vulnérables, quels que soient les lieux où elles demeurent et où s’exercent les mesures de protection juridique mais aussi, plus largement, les actions d’accompagnement social- et médico-social, de soins, ou tout simplement de la vie courante, il est indispensable :

  1. de disposer d’outils partagés et évolutifs des difficultés rencontrées concrètement par les
    personnes, non seulement pour évaluer la compensation des déficits fonctionnels et
    construire des programmes d’aide, mais aussi pour apprécier les capacités de discernement
    conservées et les soutiens mobilisables, dans une visée de préservation, autant et le plus
    longtemps qu’il est possible, d’autodétermination des personnes ;

  2. de mieux appréhender et organiser les missions des professionnels du social, du médicosocial, du sanitaire et de la protection juridique des majeurs autour de référentiels communs
    permettant de mieux articuler les compétences entre elles, au bon moment, en étant
    complémentaires tant dans l’accompagnement global que dans la prévention et la lutte
    contre les maltraitances auxquelles sont particulièrement exposées les personnes les plus
    vulnérables, sur des temps courts ou prolongés.

La mission interministérielle confiée par les ministres des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées dans le cadre des Etats généraux des maltraitances a conduit le groupe de travail à une double interrogation portant sur :

  1. Le cadre juridique des actions réalisées pour autrui à partir des droits fondamentaux et
    des libertés des personnes les plus vulnérables et du socle de la protection juridique des
    majeurs tel que posé dans deux textes clés du code civil :
    - l’article 415 du code civil dispose, d’une part, que chacun a droit à la protection de sa
    personne et de ses biens selon ce que son état ou sa situation rend nécessaire et, d’autre
    part, que cette protection doit être instaurée et assurée dans le respect des libertés
    individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne, en favorisant, dans
    la mesure du possible, l’autonomie.
    - l’article 459, alinéa 1er, dispose que même lorsqu’une mesure de protection juridique est
    organisée, la personne « prend seule les décisions relatives à sa personne, si son état
    le permet », certains domaines très intimes ne relevant que de sa décision strictement
    personnelle (C. civ., art. 458). 

  2. Les objectifs poursuivis par les protections sociales, médico-sociales, sanitaires et juridique au regard, d’une part, des principes et des valeurs contenus dans le bloc de constitutionnalité de notre République et, d’autre part, de la construction à venir d’une politique publique de prévention et de lutte contre les maltraitances au sens du nouvel article L. 119-1 du code de l’action sociale et des familles. Pourquoi protéger ? Qui protéger ? Selon quels critères et selon quelles organisations ?

Tirant les conséquences des constats maintes fois répétés de la complexité des règles propres à la plupart des champs d’intervention, qui catégorisent les sujets mais aussi les rapports entre eux du fait du clivage des interventions et des dispositifs, le groupe de travail considère qu’une politique publique ambitieuse de prévention et de lutte contre les maltraitances doit s’appuyer sur un socle partagé entre les acteurs de la protection sociale et de la protection juridique qui donnera du sens à leurs actions, et sur des outils d’évaluation appréciation des situations de vulnérabilité adaptés, complémentaires, évolutifs et partagés.

Proposant une lecture unifiée des règles de la protection sociale et de la protection juridique des majeurs à partir des droits fondamentaux et universels de toute personne, quel que soit son degré de vulnérabilité, le groupe de travail propose de construire un prisme d’action commun, avec des degrés d’intervention en fonction d’outils partagés respectant les  personnes, sans les contrôler à l’excès, tout en les protégeant quand c’est nécessaire grâce aux outils d’assistance et de représentations par un ou plusieurs tiers identifiés que contient  la protection juridique.

 
Ce prisme d’action devrait permettre de sortir de la superposition des différents champs et de construire un accompagnement global respectueux des personnes les plus vulnérables, sous plusieurs conditions :

  • ne pas considérer la personne comme un sujet de droit « abstrait », un « usager » de
    différents dispositifs ;

  • reconnaître la présomption de capacité de la personne, titulaire de droits qu’elle doit
    pouvoir exercer le plus longtemps possible par elle-même ou en étant soutenue ;

  • ne pas considérer que la personne vit séparée des autres mais qu’elle est bien dans
    la cité ;

  • garantir que les acteurs construiront leurs actions à partir du socle des droits de la
    personne et de ce qu’elle exprime après une information adaptée à son degré de
    compréhension ;

  • construire une évaluation-appréciation globale des situations de vulnérabilité, fondée sur
    un concept multidimensionnel, pluriprofessionnel et dynamique tendant à apprécier les
    capacités d’autodétermination, les capacités fonctionnelles en évaluant tant les déficits
    que les ressources internes et externes et la façon dont son environnement peut jouer
    pour la personne concernée un rôle d’entrave ou de facilitateur dans la réalisation des
    tâches, activités ou actes ;

  • construire des actions dans laquelle la protection juridique des majeurs n’est pas la fin
    des actions précédentes mais un levier complémentaire pour permettre, en particulier,
    d’anticiper la désignation d’un tiers de confiance dans le cadre, par exemple d’un mandat
    de protection future ou d’une désignation de personne de confiance, le cas échéant
    associée à des directives anticipées ou encore de mesures de gestion patrimoniale
    adaptées ;

  • construire une politique publique sur des partenariats pluridisciplinaires sur les territoires
    et un pilotage national interministériel ouvert à l’ensemble des acteurs, dont les familles et
    les personnes elles-mêmes ;

  • renforcer les dispositifs de prévention des maltraitances, tout particulièrement dans la gestion
    des ressources et du patrimoine, en encadrant davantage le dispositif bancaire et financier.

Dans le temps qui lui a été donné, le groupe de travail propose 35 mesures qui devront être construites avec l’ensemble des acteurs. Les enjeux sont en effet considérables compte tenu du nombre de personnes concernées directement ou du fait d’un proche. Une société respectueuse des droits et protectrice du « Bien vieillir » - comme de toutes les personnes particulièrement vulnérables en raison des conséquences possibles non seulement de l’avancée en âge mais aussi des différents types de handicaps ou encore des maladies chroniques - oblige sans doute à interroger non seulement la qualité de vie, de la santé et
des interventions pour autrui, mais aussi les actes ou comportements maltraitants au sens de l’article L. 119-1 du code de l’action sociale et des familles.


En juin 2022, l’Organisation mondiale de la santé a communiqué des éléments sur la maltraitance envers les personnes âgées qui confirment l’ampleur des atteintes graves, et  souvent répétées, aux droits et à la dignité des personnes, avec des conséquences traumatiques allant bien au-delà d’un fait avéré et traité par les autorités judiciaires. Ces faits sont d’autant plus inquiétants que la population avance en âge, que les établissements de soins et d’hébergement font l’objet de crises répétées, que les taux de signalement sont très faibles, et que les retours de terrain du côté des professionnels sont alarmants sur les difficultés de recrutement, la qualité des formations, les complexités administratives et le nombre de ruptures de suivi sanitaire, social ou médico-social.

Le groupe de travail s’accorde donc à considérer qu’il n’est pas absurde de dire que ce qui est observé pour les personnes âgées est transposable à l’ensemble de la populations des personnes particulièrement vulnérables, notamment parce qu’elles sont dépendantes des interventions d’autrui.

Il lui apparaît en conséquence urgent de mettre en place effectivement une stratégie de prévention et de lutte contre les maltraitances, construite sur un socle partagé de respect effectif des droits fondamentaux des personnes et de mise en cohérence des protections juridique et sociale. Le groupe de travail souligne qu’elle doit être incarnée dans une politique publique transversale et interministérielle dans laquelle les autorités judiciaires, et le juge tout particulièrement en qualité de garant des libertés individuelles, doivent conserver une place significative et identifiée, aux côtés des solidarités familiales et collectives.