Le Conseil d'État ordonne l'exportation vers l'Espagne des gamètes d'un homme décédé pour que sa veuve puisse bénéficier d'une insémination post mortem dans son pays.

En France, les lois de bioéthique prévoient que l’assistance médicale à la procréation n’est légale que pour remédier à l’infertilité d’un couple ou éviter la transmission d’une maladie particulièrement grave. Il en résulte que pour en bénéficier, les deux membres du couple doivent être vivants et en âge de procréer. La séparation des membres du couple ou la mort de l’un d’eux empêche l’autre membre de poursuivre seul le projet de conception. En outre, l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique interdit l’exportation de gamètes conservés en France pour un usage qui méconnaîtrait les principes bioéthiques de la loi française.

 

Pourtant, conformément à l'avis du rapporteur public, le Conseil d'État à considéré qu'il y avait atteinte à la faculté de la veuve à jouir des ses droits en Espagne et a enjoint le centre de conservation français d'exporter les gamètes, .

Source : Conseil d'État (extraits de l'avis)

Un couple franco-espagnol avaient formé, ensemble, le projet de donner naissance à un enfant. En raison d’une maladie grave dont le traitement risquait de le rendre stérile, le mari, français, a procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de l’hôpital Tenon, dans l’intention de bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Mais ce projet, tel qu’il avait été initialement conçu, n’a pu aboutir en raison de la détérioration brutale de l’état de la santé du mari , qui a entraîné son décès le 9 juillet 2015.

Avant son décès, le mari avait explicitement consenti à ce que son épouse puisse bénéficier d’une insémination artificielle avec ses gamètes à titre posthume en Espagne, son pays d’origine, qui autorise l’insémination post mortem.

Après le décès de son époux, sa veuve qui est retournée vivre en Espagne, a  demandé à l’administration française de lui permettre d’exporter les gamètes de son époux pour permettre la conception de l’enfant en Espagne ce qu'autorise la loi de ce pays dans un délai de 12 mois après le décès s'il existe une autorisation expresse de l'époux défunt. Cette demande a été refusée, en application de l’interdiction française de l’insémination post-mortem. Elle a contesté ce refus devant le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Paris. Celui-ci ayant refusé d’accéder à sa demande, elle a ensuite saisi le Conseil d’État.

En l’espèce, la veuve soutenait que le refus d’exportation des gamètes était contraire à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (convention EDH) qui garantit que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».

  • Le Conseil d’État a d’abord jugé in abstracto que la législation française, prise dans son ensemble, n’était pas contraire à cet article : s’agissant de ces sujets de bioéthique, la marge d’appréciation que la convention laisse aux États est importante et tant l’interdiction de procéder à une insémination post-mortem que l’interdiction d’exporter à cette fin des gamètes conservés en France relèvent de cette marge d’appréciation.
  • Exerçant ensuite son contrôle in concreto,  le Conseil d’État a relevé que la situation actuelle de la veuve résultait de la maladie et de la brutale détérioration de l’état de santé du mari, qui avait empêché les époux de mener à bien leur projet durablement réfléchi d’avoir un enfant et, notamment, de procéder à un autre dépôt de gamètes en Espagne, pays autorisant l’insémination post-mortem. Dans ces conditions, la veuve, revenue vivre en Espagne auprès de sa famille sans avoir eu l’intention de contourner la loi française, se retrouve dans une situation où l’exportation des gamètes conservés en France constitue la seule façon pour elle d’exercer la faculté que lui ouvre la loi espagnole.

Le Conseil d’État en a conclu qu’en l’espèce, le refus d’exportation opposé la veuve sur le fondement de la loi française porte, au vu de l’ensemble des circonstances particulières de l’affaire, une atteinte manifestement excessive à son droit au respect de la vie privée et familiale. Il a donc ordonné à l’Assistance public-Hôpitaux de Paris, dont dépend l’hôpital Tenon, et à l’Agence de la biomédecine, de qui dépendent les autorisations d’export de gamètes, de prendre toutes les mesures nécessaires pour permettre l’exportation des gamètes vers l’Espagne.