L'avis du CCNE concernant la révision des lois de bioéthique est paru
Dans le cadre du processus de révision de la loi de bioéthique, le Conseil consultation national d'éthique (CCNE) a rendu public ce 25 septembre sa propre contribution (avis N°129) sur les grands thèmes qu'il avait identifié et qu'il avait soumis à la population dans le cadre des états généraux de la bioéthique.
Rappelons que cette contribution prend place en complément des états généraux de la bioéthique organisés entre janvier et juin 2018 avec l'aide des espace de réflexion éthique régionaux, dont la synthèse avait été remise à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECTS), à la ministre de la santé, à la ministre de la recherche et à la ministre de la justice.
Cet avis de 165 pages a donné lieu à onze réunions plénières du comité entre juin et septembre 2018 et dégage ce que son Président appelle un "assentiment majoritaire". Conformément à son habitude, le CCNE publie également les positions minoritaires argumentées et signées de leurs rédacteurs qui viennent enrichir l'avis.
Il s'agit là de la dernière étape impliquant la société civile avant les travaux parlementaires. La balle est maintenant dans le camp du législateur, sous la forme d'un projet de loi d'initiative gouvernementale qui sera probablement déposé à la fin de l'année 2018 et, sans doute, discuté par le parlement au premier trimestre 2019. Dans cette perspective, l'Assemblée nationale a constitué une mission d'information sur la révision de la loi de de bioéthique.
PROPOSITIONS DU CCNE (liste telle qu'elle figure dans l'avis)
Concernant la recherche sur les cellules souches embryonnaires et les embryons humains
- Le CCNE considère justifiée l'autorisation de la recherche sur les embryons surnuméraires (embryons préimplantatoires issus des procédures de FIV et dont les projets parentaux ont été abandonnés), y compris avec des modifications génétiques, à condition du non transfert de l'embryon.
- Le CCNE rappelle la pertinence éthique de l'interdiction de la création d'embryons à des fins de recherche.
- Le CCNE propose de ne plus soumettre la recherche sur l'embryon et celle sur les lignées de cellules souches embryonnaires au même régime juridique ; les enjeux éthiques associés à ces deux types de recherche s'avérant différents. Le CCNE considère qu'il est légitime de ne pas soumettre les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh) au régime juridique de l'embryon, mais à une simple déclaration. Il est toutefois nécessaire d'envisager un nouveau corpus juridique pour encadrer les recherches que la disponibilité de cellules souches pluripotentes (CSEh et iPS - cellules souches pluripotentes induites) rend possibles.
- Le CCNE souhaite que le nouvel encadrement législatif afférent à la recherche sur l'embryon soit précisé et clarifié sur les points suivants : (a) La création d'embryons transgéniques, c'est-à-dire la possibilité de modifier le génome d'un embryon pendant le temps de l'expérimentation, notamment avec la technique Crispr-Cas9 : une distinction doit être effectuée entre la modification dans le cadre d'un protocole de recherche (autorisée par la Convention d'Oviedo), et celle qui impliquerait une variation du patrimoine génétique chez la descendance dans un but thérapeutique (interdite). (b) La création d'embryons chimériques, c'est-à-dire l'insertion dans un embryon animal de quelques cellules souches pluripotentes humaines (CSEh ou iPS) : sans l'interdire, un encadrement est toutefois nécessaire si les embryons sont transférés chez des femelles et donnent naissance à des animaux chimériques (chez le gros animal). Une instance ad hoc multidisciplinaire et incluant des chercheurs en éthique animale pourrait avoir cette responsabilité. (c) La limite temporelle au temps de culture de l'embryon (la loi actuelle ne précise pas de limite temporelle au délai de culture, mais une limite tacite et respectée jusqu'à maintenant par les scientifiques est celle du 14e jour).
- Le CCNE s'interroge par ailleurs sur la nécessaire inscription dans la loi des deux prérequis à la recherche sur l'embryon que sont la finalité médicale et l'absence d'alternative. Un cadre plus général pourrait garantir le principe du respect de l'embryon, sans brider la recherche, tout en s'assurant de la qualité scientifique de l'équipe de recherche, la solidité du protocole, et l'argumentation scientifique.
- Le CCNE souhaite que compte-tenu de la diversité des protocoles développant une recherche sur l'embryon ou les CSEh, et des questions éthiques nouvelles posées par les applications des iPS, une réflexion approfondie soit conduite sur les procédures d'information et de consentement dans ces nouvelles situations.
Au sujet des examens génétiques et de la médecine génomique
- Le CCNE souhaite que le diagnostic génétique préconceptionnel puisse être proposé à toutes les personnes en âge de procréer qui le souhaitent après une consultation spécialisée. Ce diagnostic préconceptionnel reposerait sur le dépistage des porteurs sains de mutations responsables de maladies héréditaires monogéniques graves, et non polygéniques, quelle que ce soit la technique utilisée : panel de gènes, séquençage de l'exome ou du génome entier. Acte médical de prévention, il serait pris en charge par l'Assurance Maladie.
- Le CCNE se propose d'examiner de façon plus approfondie les possibilités de l'extension du dépistage génétique à la population générale. Il souhaite que soit très rapidement mise en place une étude pilote portant sur plusieurs régions et sur des tranches d'âge différentes afin d'en évaluer les conséquences en termes de santé publique, de retentissement psychologique et de coût.
- Le CCNE est favorable à l'autorisation de la recherche d'aneuploïdies, au cours des fécondations in vitro, pour les couples ayant recours au diagnostic préimplantatoire (DPI), et certains couples infertiles.
- Le CCNE souhaite qu'une nouvelle définition du diagnostic prénatal soit établie, pour être en accord avec les pratiques et possibilités thérapeutiques récemment développées in utero et à la naissance.
- Le CCNE considère qu'il serait souhaitable d'élargir le dépistage néonatal aux déficits immunitaires héréditaires.
- Le CCNE est favorable à l'autorisation des examens génétiques sur un prélèvement de patient décédé, sauf si un refus a été exprimé de son vivant.
- Le CCNE souhaite la création d'un statut des conseillers génétiques, du fait du développement exponentiel des tests génétiques, incluant des non-médecins.
- Le CCNE propose la rédaction de consentements éclairés élargis pour les analyses génétiques, mentionnant les modalités et les conditions d'utilisation de la collecte des données, dans le cadre de la recherche, mais aussi du soin courant.
A propos des prélèvements d'organes
- Le CCNE demande que les inégalités régionales actuelles au niveau de l'offre de greffons soient résorbées, notamment par la réduction des écarts en matière d'inscription par les équipes soignantes- parfois précoces, parfois tardives - de leurs patients en liste d'attente de greffe.
- Le CCNE propose l'intensification de l'information eu égard à l'existence d'un protocole national concernant les techniques de prélèvements dites " Maastricht 3 ", à destination la fois des équipes soignantes en réanimation et de la population générale. Il est essentiel d'apporter de la clarté aux familles à propos des décisions d'arrêts des soins, afin de leur garantir qu'elles ne sont pas motivées par l'opportunité d'un prélèvement d'organes.
- Le CCNE juge souhaitable le développement de la formation des professionnels de santé pour l'accompagnement psychologique des familles de donneurs décédés.
- Le CCNE souhaite la poursuite des campagnes d'information sur le don d'organes, et particulièrement sur le cadre actuel du consentement au don et la possibilité de s'inscrire à tout moment sur le Registre national des refus [de prélèvement après son décès]
- Le CCNE insiste sur l'importance d'une grande vigilance de la part des professionnels encadrant la procédure de recueil du consentement du donneur [vivant], à l'égard des pressions intrafamiliales en faveur du don.
- Le CCNE juge souhaitable une évolution de la législation concernant les dons de reins croisés entre deux paires de donneurs pour autoriser la mise en place d'une chaîne de donneurs successifs, éventuellement initiée avec un rein d'un donneur décédé, tout en s'assurant du respect du consentement éclairé des donneurs comme des patients à greffer.
- Le CCNE propose la création d'un " statut " du donneur, dans le respect du principe d'équité entre tous les patients inscrits en liste d'attente et il insiste pour que soient raccourcis les délais de remboursement des frais avancés par le donneur vivant, afin qu'il ne soit pas amené à supporter les conséquences financières de ce geste généreux.
Concernant les neurosciences
- Le CCNE demeure très défavorable, en l'état actuel des connaissances, à l'utilisation de l'IRM fonctionnelle dans le domaine judiciaire.
- Le CCNE déconseille l'emploi de l'IRM fonctionnelle dans les applications " sociétales " telles que le neuro-marketing.
- Le CCNE s'oppose à l'emploi de l'IRM fonctionnelle dans le cadre de la sélection à l'embauche ou des pratiques assurantielles.
- Le CCNE souhaite qu'une plus grande information autour des techniques de neuro-amélioration concernant des dispositifs non médicaux, soit délivrée à la population.
Concernant le numérique en santé
- Le CCNE considère comme prioritaire la diffusion du numérique en santé, et souhaite qu'en l'état des recherches et du développement de ces technologies, le recours au droit opposable soit circonscrit au maximum. Compte tenu des marges de gains de qualité et d'efficience permises par un recours élargi au numérique dans notre système de santé, mettre en oeuvre une logique bloquante de réglementation ne serait pas éthique. Il propose par ailleurs que soit engagée au cours des prochains mois une réflexion sur la création d'instruments de régulation de type " droit souple ", applicables à la diffusion du numérique au sein de notre système de santé, avec un rôle de supervision générale qui pourrait être dévolu à la Haute Autorité de Santé. Un tel cadre permettrait de renforcer l'efficacité et l'efficience de notre système de santé, tout en conservant la souplesse opérationnelle nécessaire à l'accompagnement de l'innovation.
- Le CCNE propose que soit inscrit au niveau législatif le principe fondamental d'une garantie humaine du numérique en santé, c'est-à-dire la garantie d'une supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, et l'obligation d'instaurer pour toute personne le souhaitant et à tout moment, la possibilité d'un contact humain en mesure de lui transmettre l'ensemble des informations la concernant dans le cadre de son parcours de soins.
- Le CCNE juge nécessaire que toute personne ayant recours à l'intelligence artificielle dans le cadre de son parcours de soins, en soit préalablement informée afin qu'elle puisse donner son consentement libre et éclairé.
- Le CCNE souhaite que cette révolution numérique ne pénalise pas les citoyens du non-numérique qui sont souvent en situation de grande fragilité, particulièrement dans le domaine de la santé.
- Le CCNE propose que soit créée une plate-forme nationale sécurisée de collecte et de traitement des données de santé pour articuler, entre eux, les différents enjeux éthiques afférents aux données de santé.
- Le CCNE va s'engager pleinement dans les réflexions éthiques relatives au domaine du numérique et de la santé, et d'autre part se propose d'aider à la préconfiguration d'un comité d'éthique spécialisé dans les enjeux du numérique.
A propos de l'environnement
- Le CCNE souhaite que le champ thématique " santé et environnement " fasse l'objet de réflexions interdisciplinaires dont les résultats permettraient de soutenir mieux qu'aujourd'hui les décisions politiques.
- Le CCNE propose l'inscription de cette ambition dans le préambule de la loi relative à la bioéthique et est favorable à la modification de l'objet social des entreprises prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités, telle qu'elle est proposée dans la loi PACTE.
- Le CCNE souhaite que les entreprises présentent chaque année devant leurs actionnaires et leur comité social et économique (CSE), un document éthique, également mis à la disposition de leurs clients. Celui-ci ferait état de l'intégration, dans la stratégie de l'entreprise et de son fonctionnement, des questions relatives à l'environnement et à la santé.
A propos de la procréation
- Le CCNE demeure favorable à l'ouverture de l'Assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples de femmes et les femmes seules.
- Le CCNE considère comme essentiel d'anticiper les conséquences de l'ouverture de l'AMP sur la capacité des CECOS (Centres d'étude et de conservation du sperme humain) à répondre à cette nouvelle demande en matière de don de sperme.
- Le CCNE demeure favorable au maintien de l'interdiction de la Gestation pour autrui (GPA).
- Le CCNE est favorable à la possibilité de proposer, sans l'encourager, une autoconservation ovocytaire de précaution, à toutes les femmes qui le souhaitent, après avis médical (avec pour seules restrictions des limites d'âge minimales et maximales).
- Le CCNE souhaite que soit rendu possible la levée de l'anonymat des futurs donneurs de sperme, pour les enfants issus de ces dons. Les modalités de cette levée d'anonymat devront être précisées et encadrées, dans les décrets d'application, notamment en respectant le choix du donneur
- Le CCNE est favorable à l'ouverture de l'AMP en post mortem, c'est-à-dire au transfert in utero d'un embryon cryoconservé après le décès de l'homme, sous réserve d'un accompagnement médical et psychologique de la conjointe.
A propos de la fin de vie
- Le CCNE propose de ne pas modifier la loi existante sur la fin de vie (loi Claeys-Leonetti) et insiste sur l'impérieuse nécessité que cette loi soit mieux connue, mieux appliquée et mieux respectée.
- Le CCNE souhaite qu'un nouveau Plan gouvernemental de développement des soins palliatifs soit financé avec pour objectif principal l'amélioration de l'information à l'égard du corps médical sur les dispositions de la loi Claeys- Leonetti, le développement de la formation et de la recherche via la création effective d'une filière universitaire et la publication d'appels à projet de recherche relatifs à la fin de vie et à la médecine palliative. La formation initiale et continue de l'ensemble des acteurs de santé (pour développer des compétences scientifiques, réflexives, dans le champ de la communication et du travail en équipe, ainsi que relatives à la loi en vigueur) est une nécessité pour aboutir à une véritable " culture palliative ", intégrée à la pratique des professionnels de santé. Seuls les résultats de travaux de recherche rigoureux seront de nature à nourrir utilement un débat qui est souvent passionné et idéologique sur les questions relatives à la fin de vie.
- Le CCNE souhaite que ce Plan réduise les inégalités territoriales et facilite une organisation de proximité des soins palliatifs en favorisant le maintien à domicile lorsque celui-ci est souhaité et en renforçant le champ et les missions des équipes mobiles de soins palliatifs. Ce Plan devra enfin permettre la valorisation de l'acte réflexif et discursif qui peut conduire à des décisions justes en fin de vie pour éviter les actes médicaux inutiles, ou disproportionnés au regard de la situation des patients tout comme prioriser les soins relationnels et d'accompagnement des personnes (en particulier pour faciliter l'anticipation de ce qui peut advenir et favoriser l'élaboration de directives anticipées).
- Le CCNE exprime enfin la volonté que soit réalisé un travail de recherche descriptif et compréhensif des situations exceptionnelles, auxquelles la loi actuelle ne permet pas de répondre, et qui pourraient éventuellement faire évoluer la législation.
A propos du processus de révision des lois de bioéthique lui-même
- Le CCNE considère que le modèle français qui organise la révision périodique des lois de bioéthique après l'organisation d'États Généraux de la Bioéthique est un élément essentiel de notre démocratie sanitaire, et doit en ce sens être conservé. Afin de se rapprocher de la temporalité inhérente aux évolutions scientifiques et sociétales, la révision des lois de bioéthique mérite toutefois d'être conduite tous les 5 ans. Le CCNE souhaite rester l'initiateur des États Généraux de la Bioéthique.
- Le CCNE appelle à une intensification de la participation de la société civile dans les débats relatifs à la bioéthique, et souhaite que le processus de débat public soit conduit dorénavant bien en amont des États Généraux de la Bioéthique, qu'il soit continu entre chaque révision des lois de bioéthique, et qu'il soit initié par le CCNE, en partenariat avec les Espaces de réflexion éthique régionaux (ERER). Le CCNE préconise de tenir - en partenariat avec les ERER - un rôle de surveillance et d'alerte sur les nouvelles questions éthiques qui pourraient se poser du fait des avancées de la science, entre chaque procédure de révision des lois de bioéthique.
- Le CCNE juge nécessaire l'accroissement du nombre de recherches et d'évaluations de programmes, en particulier sur les grandes questions sociétales. Il considère par ailleurs qu'il est essentiel de développer l'enseignement de l'éthique, en particulier dans le cadre des études et formations menant aux professions de santé.
- Le CCNE a déjà intégré les questions relatives aux interférences entre la santé et le numérique dans son champ de réflexion, et se propose de jouer un rôle d'aide à la constitution d'un futur comité d'éthique du numérique, spécialiste des enjeux numériques dans leur globalité.
- Le CCNE considère enfin qu'il serait opportun de renforcer la réflexion bioéthique au plan international, et particulièrement en Europe, et éventuellement de parvenir à des positions éthiques partagées. Il se propose de jouer un rôle plus actif dans le développement de collaborations avec les comités éthiques étrangers, en particulier francophones.