Traçage des porteurs du virus : quel est le but visé ? (StopCOVID - texte N°1).
Comment caractériser le traçage, quel est le but visé ?
Robin Cremer
Dans le cadre de la pandémie de la maladie COVID-19 due au virus SARS-Cov2, les autorités de santé sont en train de mettre sur pied une vaste action de santé publique visant à rechercher de manière organisée les porteurs du virus dans la population nationale. Il s'agit de contrôler l'épidémie en réduisant la transmission du virus dans la population.
Indépendamment de l'examen des avantages, des inconvénients et des dérives possibles des différents moyens techniques envisagés, il convient de s'interroger sur la validité les buts visés, notamment sur leur réalisme. A quoi bon tracer les porteurs du virus dans la population si on n'a d'autres mesures à leur recommander que des mesures déjà proposées dans la population générale ? A quoi bon organiser une politique de traçage centralisée s'il n'y a aucune chance de pouvoir la mettre en œuvre de manière exhaustive ? A quoi bon développer un outil de traçage en temps réel de la position et des contacts des porteurs du virus si les actions de santé publique ne dépendent ni du lieu ni du mode de contamination ?
Pour ouvrir le débat mais aussi les doutes face à une technique qui n'est pas innocente en terme de droits de l'homme, nous proposons différentes réflexions dans le champ de la de santé publique, du droit, de l'économie, de la psychologie ou de la philosophie.
Comment caractériser le traçage ?
Un dépistage est une action de santé publique, c'est-à-dire une liste d'opérations à entreprendre de manière collective, en vue de l'amélioration de la santé d'une population [1]. Selon l'OMS [2] le dépistage consiste à identifier à l'aide de tests appliqués de façon systématique et standardisée, les sujets atteints d'une maladie passée jusque-là inaperçue. Le dépistage est justifié si les 10 critères définis en 1970 par Wilson et Jungner et diffusés par l'OMS sont réunis :
- la maladie dépistée doit constituer une menace grave pour la santé publique ;
- elle doit être accessible à un traitement efficace ;
- les moyens de diagnostic et de traitement doivent être disponibles ;
- il doit exister une période préclinique au cours de laquelle la maladie peut être décelée ;
- l'histoire naturelle de la maladie, notamment son évolution de la phase préclinique à la phase symptomatique, doit être connue ;
- un test diagnostique efficace doit exister ;
- ce test doit être acceptable pour la population ;
- le choix des sujets qui recevront un traitement doit s'opérer selon des critères pré-établis ;
- le coût de la recherche des cas, y compris les frais de diagnostic et de traitement des sujets reconnus malades, ne doit pas être disproportionné par rapport au coût global des soins médicaux ;
- il faut assurer une continuité dans la recherche des cas et non la considérer comme exécutée une fois pour toutes.
À l'évidence, plusieurs critères manquent dans la cadre de la COVID-19. S'il est avéré que la maladie constitue effectivement une menace pour la santé publique puisque sa progression avant le confinement a suffi à paralyser les capacités des réanimations dans les régions les plus touchées, il est également incontestable que la maladie n'est accessible à aucun traitement spécifique et que sa phase pré symptomatique est largement méconnue. Il n'y a, à l'heure actuelle, aucun traitement dont l'administration précoce pourrait être considérée comme bénéfique pour les sujets dépistés. L'action proposée n'est donc pas un dépistage au sens de l'OMS puisqu'elle ne vise pas l'amélioration de l'état de santé des sujets testés.
Le traçage des sujets porteurs du virus n'est pas non plus comparable avec les déclarations des maladies obligatoires, pour lesquelles il existe un bénéfice à un traitement rapide ou une vaccination pour les sujets contacts éventuellement dépistés. D'aucuns ont comparé la Covid-19 avec la maladie du virus Ebola. Si les deux maladies ont en commun l'absence de traitement spécifique, la maladie d'Ebola a une phase pré symptomatique plus courte et l'état des malades les empêche naturellement de circuler. De plus, ce sont les fluides corporels qui sont contaminants faisant des cadavres les premiers vecteurs de contamination. La comparaison avec le virus du SIDA n'est pas non plus pertinente puisque son mode de contamination très spécifique fait que les mesures préventives ne concernent qu'une partie de la vie sociale des patients.
L'objet de ce traçage n'est donc pas directement l'état de santé de la population, mais la sauvegarde des capacités du système de soins. Ce n'est qu'à travers cet objectif collectif que les sujets tracés peuvent espérer retirer un quelconque avantage de leur compliance, à terme, s'ils tombent malades de la COVID-19 ou d'autre chose. Ce n'est qu'à travers cet objectif collectif qu'on peut alléguer une amélioration de la santé de la population.
Quels sont les leviers pour faire accepter le traçage des porteurs du SARS-Cov2 ?
La réduction de la circulation du virus passe par l'interruption de la chaine de contamination, c'est une évidence. C'est le but affiché par le projet de traçage des sujets ayant été en contact avec les personnes identifiées comme porteuses du virus. Mais quels sont les leviers disponibles pour obtenir son acceptation par la population : la peur, l'adhésion ou la coercition ?
En l'absence de masques disponibles pour tous et dans l'urgence, la réduction de la circulation du virus a été obtenu par un confinement généralisé jusqu'au 11 mai. Cette assignation à résidence généralisée a été possible au moyen d'une loi décrétant l'état d'urgence sanitaire et a été relativement bien accueillie par la population par peur de la contamination. Mais on sait que le sentiment de peur qui peut être salutaire transitoirement s'estompe rapidement et ce n'est pas un outil utilisable à long terme.
Les comportements d'adhésion ou de rejet d'une politique de santé ont été abondamment étudiés lors de crises précédentes c'est pourquoi il convient de s'y intéresser avant de bâtir une politique de santé publique. Nous proposerons dans un prochain billet une analyse des facteurs prédictifs de comportement. Mais on peut présumer que si les autorités sanitaires envisageaient une adhésion massive et un civisme exemplaire, elles n'auraient pas organisé la centralisation des données actuellement mise en place. Les données de santé publique qu'elles vont permettre de réunir seront, certes, très utiles mais elles ne sauraient en être la justification principale puisqu'elles pourraient être obtenues par des enquêtes de santé publique classiques par échantillonnage avec des volontaires consentants.
Reste la voie coercitive. On ne sait pas, à l'heure actuelle, quelles sont les intentions des autorités sanitaires vis-à-vis des sujets identifiés comme porteurs du virus : le re-confinement individuel ou l'isolement complet. En droit la première est équivalent à une assignation à résidence et relève du droit administratif. La seconde est une privation de liberté qui relève du droit judiciaire. C'est également l'objet d'un chapitre à venir sur ce forum.
S'il s'avérait que chacun de ces trois leviers, peur, adhésion et coercition était voué à l'échec, il serait alors grand temps d'abandonner ce projet de traçage en temps réel et de revenir à une politique réaliste basée sur la médecine de proximité, les enquêtes de terrain et le renforcement des gestes barrières pour tous.
- ANAES (agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé). Évaluation d'une action de santé publique : recommandations. Paris:1995;
- Wilson, James Maxwell Glover, Jungner, Gunnar, World Health Organization. (1970). Principes et pratique du dépistage des maladies / J. M. G. Wilson, G. Jungner. Genève : Organisation mondiale de la Santé. https://apps.who.int/iris/handle/10665/41503
Robin Cremer est médecin au CHU de Lille et docteur en éthique médicale.