Handicap et protection de l'enfance : des droits pour des enfants invisibles
Dans son introduction le Défenseur des droit constate que ces enfants sont théoriquement protégés à la fois par la Convention Internationale des droits de l'Enfant et par la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Pourtant ces enfants doublement vulnérables, alors qu'ils devraient devraient en toute logique bénéficier d'une double attention et d'une double protection, vont paradoxalement être des enfants " invisibles " dans les politiques publiques d'accompagnement du handicap, comme dans celles de protection de l'enfance, car oubliés des systèmes d'information existants, et donc ni quantifiés ni identifiés.
Le Défenseur des droit constate qu'ils se trouvent à l'intersection de politiques publiques distinctes, victimes de l'incapacité à dépasser les cloisonnements institutionnels, l'empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs, ainsi que les différences de cultures professionnelles, notamment autour de la place des parents et du travail avec les familles ; courant, de fait, le risque que se neutralisent les interventions conduites auprès d'eux.
En tête de son rapport, le rapporteur des droits formule 12 propositions pour améliorer cet état des choses :
- PROPOSITION 1 : améliorer la communication entre les services de protection de l'enfance et les services responsables de leur de prise en charge
- (obtenir la) mise en place systématisée de fiches de liaison entre l'ASE et la MDPH pour chaque mineur pris en charge ainsi que la création d'un référent ASE au sein des MDPH, et réciproquement, afin de faciliter le suivi des décisions d'orientation ;
- mettre en place un système de recensement des besoins des enfants handicapés et d'information sur l'offre institutionnelle permettant d'obtenir, en temps réel, des données objectives au niveau national ;
- accompagner la création de places en établissements spécialisés du développement d'équipes mobiles, sanitaires et médico-sociales, en appui des structures et des familles d'accueil de l'ASE ;
- (faire) que les maisons départementales des personnes handicapées soient assistées dans la mise en place d'un mécanisme de suivi de leurs décisions d'orientation ;
- définir des critères objectifs de gestion de listes d'attente par les établissements spécialisés et de mettre en place un suivi externe de la mise en œuvre des conditions et modalités d'admission ;
- assurer une égalité territoriale dans l'accès des familles aux structures de diagnostic ; le diagnostic précoce doit être considéré comme une priorité des politiques publiques ;
- prendre des mesures visant à réduire les inégalités dans l'accès aux soins pédopsychiatriques sur l'ensemble du territoire, à renforcer la formation des professionnels du milieu médical aux problématiques de santé mentale, et à garantir l'accueil des mineurs dans un service qui leur soit spécifiquement destiné avec des personnels spécialisé ;-de mettre en cohérence les évolutions de l'offre de service relevant tant des Départements que des ARS afin d'éviter des ruptures préjudiciables à l'intérêt des enfants.
- PROPOSITION 2 : améliorer la formation des services éducatifs
- renforcer les liens entre la médecine scolaire et les services de la PMI, dans le cadre de protocoles et de formations croisées relatives au handicap ;-de sensibiliser les acteurs de l'Education nationale au handicap et aux spécificités d'une prise en charge par le dispositif de protection de l'enfance
- (obtenir la) mise à la disposition généralisée, pour les enseignants, de guides pratiques contenant des informations relatives aux différents partenaires, à l'orientation vers les structures de diagnostic, à la prévention du harcèlement des élèves handicapés, à la sensibilisation au repérage et à la gestion des troubles du comportement.
- PROPOSITION 3 : intégrer la notion de handicap lors des évaluations sociales
- (faire) que les outils de recueil des informations préoccupantes intègrent l'item " handicap " de manière systématique ;
- inclure la question du handicap dans le référentiel national pour l'évaluation des informations préoccupantes, prévu dans le cadre de la proposition de Loi sur la protection de l'enfance ;
- mettre en place une CRIP unique et pluridisciplinaire dans chaque département ;
- sensibiliser les acteurs de l'évaluation du danger aux spécificités liées au handicap ;
- encourager le recours à des experts du handicap, notamment au sein de la CRIP et aux différentes étapes d'évaluation par la protection de l'enfance de la situation de l'enfant.
- PROPOSITION 4 : former tous les acteurs au handicap, notamment aux troubles envahissants du développement et à l'autisme
- (faire) que l'ensemble des travailleurs sociaux soit sensibilisé aux troubles du spectre autistique dans le cadre tant des formations initiales que continues ; cette sensibilisation pourrait s'appuyer sur la production d'une grille claire, accessible et conforme aux préconisations de la HAS afin de permettre le repérage et le dépistage des signes de l'autisme destinée aux acteurs de l'enfance (PMI, travailleurs sociaux, Education nationale, etc.) ;
- inclure, dans la formation, initiale comme continue, des magistrats des modules de sensibilisation au handicap et, notamment, aux troubles envahissants du développement;
- veiller à ce que les organismes et experts qui interviennent auprès des juridictions répondent aux conditions de conformités fixées par les recommandations HAS/ANESM ;
- mettre en place un réseau d'experts identifiés et formés en partenariat avec les centres de diagnostic, qui puissent être mobilisés par les différents acteurs concourant à l'évaluation en protection de l'enfance (CRIP, professionnels réalisant des mesures judiciaires d'investigations éducatives, experts judiciaires);
- (faire) que les questions d'opposabilité et d'invocabilité des recommandations de bonnes pratiques HAS/ANESM soient clarifiées au profit de l'ensemble des professionnels intervenant dans le champ de ces recommandations.
- PROPOSITION 5 : développer la prévention et le soutien aux familles
- mettre l'intérêt supérieur de l'enfant au cœur des réflexions et des pratiques professionnelles afin de garantir les droits consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant et spécialement par les articles 5, 6, 14, 18, 20 et 23, et ce en valorisant la place des parents et celle donnée à l'enfant, démarche déterminante pour une prise en charge optimale ;
- (faire que) le diagnostic soit réalisé de manière précoce et que l'annonce du handicap aux parents soit accompagnée d'un soutien au processus d'attachement et d'une prise en charge rapide
- garantir la pérennité de la Protection maternelle et infantile et de ses missions tant de santé publique que médico-sociales ;
- (diffuser) un document simple à destination des familles présentant les différents acteurs, leurs rôles et la temporalité des démarches ainsi que l'identification des structures adéquates afin de mieux les accompagner. Ce document pourrait également être accessible en ligne ;
- privilégier des mesures diversifiées de soutien précoce à la parentalité et que " l'entretien psychosocial précoce ", notamment, soit renforcé afin d'activer des réseaux de prévention et d'anticiper une fragilisation des familles ou la survenance d'un sur-handicap ;
- proposer à l'ensemble des acteurs concernés par la prise en charge de ces enfants au carrefour de plusieurs dispositifs des formations transversales communes afin de développer une connaissance et une culture partagées au service de l'intérêt supérieur de l'enfant ;
- prendre en compte le handicap comme critère justificatif de l'intervention d'un TISF ;
- formaliser, animer et financer des réseaux pluridisciplinaires et pluri-institutionnels autour du handicap, dans la logique des réseaux du plan périnatalité ;
- renforcer et développer les réseaux de soutien à la parentalité et les réseaux périnatalité en associant directement l'ensemble des institutions publiques concernées et en garantissant leur financement ;
- développer des articulations formalisées entre conseils départementaux et Préfets, dans les schémas départementaux ou par voie de conventions, pour améliorer le soutien à la parentalité, notamment au profit des familles présentant des vulnérabilités multiples afin de simplifier les démarches de ces dernières, améliorer l'information et la coordination des acteurs (REAAP et PIF) ;
- engager une réflexion sur l'opportunité de la mise en place, au niveau local, de groupements d'intérêt public chargés du portage des dispositifs d'accompagnement des enfants handicapés dans tous les lieux de vie (école, domicile, activités de loisirs, etc.).
- PROPOSITION 6 : améliorer les connaissances épidémiologiques
- (faire) que des études épidémiologiques soient menées sur les enfants handicapés en protection de l'enfance, visant, ainsi, à une meilleure connaissance de ce public ;
- (faire) que les questionnaires transmis par la DREES aux Départements et aux ESMS dans le cadre des enquêtes annuelles et pluriannuelles soient modifiés afin de les interroger directe-ment sur cette population au croisement des dispositifs ;
- (faire) que le système de remontées des données relatives à la protection de l'enfance des départements à l'ONED soit mis effectivement en place incluant, notamment, les données liées au handicap ;
- (faire) que la remontée des données par les départements puisse s'effectuer dans le cadre de l'autorisation unique n° AU-028 qui permet de collecter certaines données liées au handicap et particulièrement aux enfants en situation de handicap faisant l'objet d'une information préoccupante ;
- (faire) que les demandes d'autorisation auprès de la CNIL pour le recueil de ces données soient effectuées sans délai, conformément aux articles 25-1-1° et 7° de la loi de 1978, et à l'annexe 2.8 du décret de 2011.
- PROPOSITION 7 : améliorer le partage de l'information entre professionnels
- (faire) que le dossier retraçant l'anamnèse du parcours de l'enfant, conservé par l'Aide sociale à l'enfance, soit consultable par l'ensemble des professionnels en charge du suivi de l'enfant, dans le respect du secret professionnel ;
- (faire) que soit institué sur la durée le principe du dialogue nécessaire entre les professionnels qui interviennent autour de l'enfant bénéficiant de prises en charge multiples ;
- (faire) que leurs points de vue, le cas échéant dans leur diversité, soient exprimés et argumentés auprès du magistrat en charge de la situation de l'enfant afin qu'il puisse rendre, à chaque nouvelle étape, une décision éclairée en tenant compte de la situation globale de l'enfant ;
- (obtenir) le développement de chartes départementales du partage de l'information nominative dans le champ de la protection de l'enfance, condition déterminante d'une prise en charge efficiente. Cette charte serait signée par l'ensemble des professionnels intervenant auprès de l'enfant dans le cadre de la mission de protection de l'enfance mais aussi dans le cadre de l'accompagnement du handicap. Elle préciserait les contours des informations transmises, les conditions de participation des usagers à leur prise en charge et les modalités d'articulation et de rencontre entre les professionnels des différents secteurs ;
- (obtenir) l'organisation d'actions de formation autour du partage de l'information concomitamment à la rédaction de la charte et à sa mise en application.
- PROPOSITION 8 : mettre les besoins fondamentaux de l'enfant au cœur du projet
-(obtenir,) conformément à sa décision MDE-2015-103 du 24 avril 2015, portant recommandations générales concernant le projet pour l'enfant, la généralisation du PPE dans l'ensemble des départements en tant qu'outil de référence pour l'ensemble des professionnels, et permet-tant d'unifier et clarifier les prises en charge multiples (notamment lorsque sont établis les PPS et les contrats d'accueil en établissement) ;
- (faire) que le PPE considère en particulier la situation de handicap de l'enfant et ses conséquences sur l'environnement familial.
- PROPOSITION 9 : faciliter les relations entre les partenaires de la protection de l'enfance et ceux du handicap
- (obtenir) la signature de protocoles entre les principaux acteurs intervenant auprès de l'enfant porteur de handicap(s) et pris en charge par l'ASE : au sein même des institutions départe-mentales, entre le département et ses partenaires, entre les partenaires entre eux. En tout état de cause, la signature de protocoles opérationnels entre l'ASE et la MDPH est considérée comme prioritaire ;
- l'animation de réseaux de formations et de stages croisés entre ces acteurs, incluant notamment la Justice et l’Éducation nationale;
- (obtenir) le développement d'un soutien et d'un accompagnement soutenu pour les assistants familiaux lors de l'accueil d'un enfant handicapé, notamment par le biais de la formation ;
- (obtenir) la production d'un guide départemental des protocoles autour de l'enfant porteur de handicap, outil pertinent de clarification interinstitutionnelle, qu'il conviendrait de diffuser très largement auprès des professionnels et notamment auprès de l'autorité judiciaire ;
- identifier systématiquement au sein des services départementaux une mission en charge des dossiers les plus complexes ainsi que des relations entre les acteurs ;
- (obtenir) la mise en place d'une instance transversale spécifique au sein des ODPE relative aux mineurs se situant aux frontières des dispositifs afin d'assurer un travail de médiation transversale et de remontées de données ;
- (obtenir) la mise en place de commissions pluridisciplinaires pour évaluer et répondre le plus en amont possible aux situations complexes afin de favoriser la continuité du parcours de l'enfant, ainsi que le dialogue et la compréhension mutuelle entre des acteurs relevant de secteurs distincts ;
- d'inciter à la création de structures ou dispositifs expérimentaux croisant les interventions médico-sociales, sociales et sanitaires, en permettant la fongibilité des enveloppes financières au plan local.
- PROPOSITION 10 : introduire une responsabilité de l'ASE dans le domaine de la santé
- (obtenir) la mise en place d'un carnet de santé informatisé prioritairement pour les enfants porteurs de handicap en protection de l'enfance, dans le respect des règles relatives au secret médical ;
- (obtenir) la formalisation de protocoles de santé entre le Département et les médecins généralistes afin de venir favoriser l'échange d'informations relatives à la santé de l'enfant ;
- (obtenir) la désignation d'un " médecin référent protection de l'enfance", désigné au sein des services du département, interlocuteur des médecins libéraux et hospitaliers ;
- (obtenir) la mise en place au sein de l'ASE d'une plateforme médicale afin de garantir l'accès et la continuité des soins pour les enfants faisant l'objet d'une mesure de protection de l'enfance.
- PROPOSITION 11 : renforcer les liens entre l’Éducation nationale et l'ASE
- (réviser) l'article D. 351-10 du code de l'éducation relatif à la composition de l'équipe de suivi et de scolarisation (ESS) au sein de la MDPH. Il est essentiel que cet article vise expressément le cas des enfants relevant de la protection de l'enfance en rendant obligatoire la présence aux ESS d'un représentant de l'ASE ;
- renforcer les liens entre l’Éducation nationale et l'Aide sociale à l'enfance de manière à favoriser la remobilisation des enfants autour de projets éducatifs conformes à leurs potentiels et à leur permettre de réussir dans toute la mesure de leurs capacités.
- PROPOSITION 12 : préparer la sortie de l'enfance
- (faire) qu'une instance départementale associant les différents services (ASE, MDPH, PAPH) se réunisse au moins un an avant la majorité pour examiner les situations des adolescents accompagnés par l'ASE et en situation de handicap, afin de favoriser leur autonomisation et d'anticiper les difficultés et les freins ;
- (faire) que des contrats jeunes majeurs soient spécialement conçus pour organiser le passage à la majorité de ces mineurs porteurs de handicaps dont le parcours vers l'autonomie doit être particulièrement préparé, accompagné et soutenu ;
- (obtenir) la mise en place d'équipes " 16-25 ans " au sein des MDPH afin d'assurer les préparations nécessaires à des transitions sans ruptures entre les secteurs enfants et adultes ;
- (faire) que les schémas départementaux de la protection de l'enfance et de l'autonomie soient articulés sur les sorties du dispositif de l'ASE ;
- (faire) que des groupes de travail en réseau soient installés par les Départements et les ARS afin de faire se rencontrer les secteurs du handicap et de l'ASE, mais également les secteurs enfants et adultes, de manière à éviter les ruptures et offrir de véritables projets d'autonomisation.