L’Avis 130 du CCNE sur « Données massives (big data) et santé" est en ligne

Les données massives en santé ont un impact important et croissant en permettant par leur exploitation d’importantes innovations dans le domaine de la recherche, dans la prise en charge des patients et l’organisation du système de soins. Les mutations technologiques et culturelles à l’œuvre obligent à s’interroger sur les enjeux éthiques liés au recueil des données, à leur traitement et à leur exploitation. Dans son avis 130, le CCNE dresse un état des lieux complet des données massives dans le champ de la santé, évoque leur développement potentiel et analyse les nouvelles questions éthiques que ces sujets soulèvent. Il propose 12 recommandations qu’il estime indispensables au respect des principes éthiques. Cet avis est une réponse du CCNE à une saisine effectuée par la ministre de la Santé en janvier 2017.

RECOMMANDATIONS

  • RECOMMANDATION N° 1 :Toute personne a droit à une information compréhensible, précise et loyale sur le traitement et le devenir de ses données, que son consentement soit ou non requis. Cette information, dont l’application effective doit pouvoir être évaluée, est adaptée à chaque contexte et actualisée. Elle doit en outre être aisément accessible, particulièrement lorsqu’elle s’adresse aux personnes les plus vulnérables, qui doivent recevoir, directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants légaux le cas échéant, les incitations appropriées pour leur permettre de faire usage de leurs droits. Pour que cette exigence d’information soit respectée et efficace, le CCNE estime que tous nos concitoyens doivent être sensibilisés aux spécificités des technologies numériques et aux avancées et risques qui leur sont associés, tant pour eux-mêmes que pour la société, afin qu’ils puissent faire un usage responsable de leurs données personnelles.
  • RECOMMANDATION N° 2 : Compte tenu du rythme particulièrement important des innovations scientifiques et technologiques et des évolutions qu’elles déterminent dans le recueil et l’exploitation des données relatives à la santé, le CCNE estime qu’il est nécessaire d’évaluer périodiquement la mise en oeuvre effective des dispositifs juridiques, afin de vérifier le maintien dans le temps de l’efficacité du système de protection des données personnelles qu’ils instaurent.
  • RECOMMANDATION N° 3 : Dans ce contexte très évolutif, il est nécessaire de mener une réflexion sur la notion de consentement au recueil et au traitement de données massives dans un champ où prévaut l’hétérogénéité des acteurs et l’évolutivité des pratiques. Cette réflexion devrait porter sur l’objet du consentement, ainsi que sur les modalités de son recueil, afin d’assurer durablement l’équilibre entre le respect des droits des personnes et la dynamique des usages. Cette réflexion devra nourrir le débat public sur les recommandations éthiques et permettra l’actualisation périodique de la loi.
  • RECOMMANDATION N° 4 : La pertinence des décisions qui sont prises dans un parcours de soin à l’aide du traitement algorithmique de données massives repose sur la qualité de ces données, sur l’absence de biais dans leur sélection et sur la rigueur de la méthodologie utilisée pour leur traitement. Le CCNE estime que les résultats obtenus ne peuvent être évalués et validés que par une garantie humaine, condition d’une responsabilisation des acteurs. Cette garantie devrait être assurée par des instances indépendantes de contrôle. En matière de recherche, il est nécessaire de préserver la diversité génétique des titulaires des données lors de la sélection des données traitées afin que les résultats obtenus ne soient pas faussés par une insuffisante représentation des populations non européennes.
  • RECOMMANDATION N° 5 :Le CCNE estime que les professionnels de santé doivent bénéficier, lors de leur formation initiale et tout au long de leur carrière, d’une formation adaptée aux technologies numériques, aux principes éthiques qui régissent le recueil et le traitement des données, aux moyens à mettre en oeuvre pour les respecter, et aux risques de biais qui résultent de leur non-respect. Les experts de la gestion et de l’analyse des données massives (data scientists), ainsi que les chercheurs, doivent être suffisamment avertis des questionnements éthiques que soulèvent ces technologies pour pouvoir assurer efficacement la protection des droits fondamentaux et des libertés individuelles.
  • RECOMMANDATION N° 6 : La multiplication de sites et d’applications qui donnent, hors parcours de soin, des conseils pour améliorer l’hygiène de vie et le bien-être, pose la question de la rigueur avec laquelle ils recueillent, interprètent et traitent des données relatives à la santé. Le CCNE considère que ces sites et applications doivent pouvoir être évalués ainsi que la qualité de l’information délivrée aux utilisateurs, afin d’éviter que certaines démarches insuffisamment rigoureuses ne puissent avoir des conséquences négatives sur le comportement et la santé des personnes.
  • RECOMMANDATION N° 7 : Le CCNE rappelle que la confiance qui est au cœur de la relation de soin nécessite la préservation d’une relation personnelle directe entre le professionnel de santé et le patient. Celui-ci ne saurait être réduit à un ensemble de données à interpréter, rendant inutile son écoute et la prise en compte de son vécu. Aussi utile qu’elle puisse être pour aider au diagnostic et guider le traitement, la « donnée » ne saurait remplacer le dialogue. Bien au contraire, l’utilisation par le professionnel de santé des technologies récentes doit aussi avoir pour but de libérer du temps pour l’écoute et l’échange en simplifiant le recueil des informations pertinentes. Elle devrait permettre au patient de devenir davantage l’acteur de son parcours de soin en lui permettant une appropriation de ses données, condition d’une attitude pleinement responsable.
  • RECOMMANDATION N° 8 : L’avènement d’une médecine de précision est de nature à favoriser d’importants progrès pour la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies. Mais l’individuation du risque qu’il implique peut porter atteinte à la mutualisation dans les mécanismes de financement de la santé. Il contient ainsi le risque d’une dérive vers un profilage de nature discriminatoire, notamment pour des raisons économiques. Le CCNE estime nécessaire que les acteurs de santé se montrent particulièrement vigilants pour la préservation de nos valeurs d’égalité, d’équité et de solidarité.
  • RECOMMANDATION N° 9 : Le CCNE insiste sur la nécessité de veiller à ce que les personnes qui n’ont pas accès aux technologies du numérique, par exemple pour des raisons économiques ou de difficulté à comprendre leur mode de fonctionnement, bénéficient, comme les autres, des avancées dans le domaine de la santé et ne subissent ni pénalisation ni discrimination dans leur accès aux soins. 
  • RECOMMANDATION N° 10 : Face au défi technologique que posent, pour la souveraineté nationale et européenne, le stockage, le partage et le traitement des données massives dans le domaine de la santé, le CCNE préconise le développement de plateformes nationales mutualisées et interconnectées. Ouvertes selon des modalités qu’il faudra définir aux acteurs publics et privés, elles doivent permettre à notre pays et à l’Europe de préserver leur autonomie stratégique et de ne pas perdre la maîtrise de la richesse que constituent les données, tout en privilégiant un partage contrôlé qui est indispensable à l’efficacité du soin et de la recherche médicale. Le CCNE souligne la nécessité d’un important effort de recherche scientifique afin de pouvoir assurer, avec un haut niveau de compétence, une évolution technologique du traitement des données dans le respect des principes éthiques.
  • RECOMMANDATION N° 11 : Le CCNE estime qu’en matière de recherche l’impératif éthique doit être adapté à chaque situation particulière, de manière à justifier une relation de confiance entre les titulaires des données et ceux qui ont accès à ces données et qui les traitent. Il est essentiel que le titulaire des données soit informé des modalités par lesquelles l’autorité de contrôle assure sa fonction de tiers de confiance. Doit ainsi être assurée une triple exigence éthique : (1) une évaluation rigoureuse et transparente de la pertinence des recherches justifiant l’accès aux données, qui doivent contribuer, au bénéfice de tous, à un enrichissement des connaissances dans le domaine de la santé ; (2) un partage des informations relatives à la progression des recherches avec les participants, selon des modalités adaptées aux contextes ; (3) l’assurance d’une sécurité des données, de leur traçabilité, et de l’absence d’usage malveillant.
  • RECOMMANDATION N° 12 : Le CCNE considère qu’il est nécessaire de faciliter le partage des données de santé pour les besoins de la recherche. Il est notamment d’avis de permettre, pour des protocoles de recherche aux finalités strictement définies et dans le respect des droits des personnes dont les données ont été mises à disposition et avec leur consentement, l’accès des chercheurs à des données collectées sur internet ou les réseaux sociaux par des plateformes dont la gouvernance est contrôlée.