Collégialité et responsabilité pour toutes les décisions importantes en fin de vie

Deux décrets d'application de la loi du 2 février 2016 (dite loi Leonetti-Claeys) sont parus au Journal officiel ce vendredi 5 août 2016. Le premier précise les conditions dans lesquelles peuvent être décidés l’arrêt des traitements et la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Le second fixe les critères de validité des directives anticipées. Nous analysons le contenu du premier d'entre-eux.

Le décret n° 2016-1067 du 3 août 2016 crée quatre nouveaux articles dans le code de santé publique qui viennent organiser la prise en compte des directives anticipées que la loi du 2 février 2016 (dite loi Leonetti-Claeys) a rendu opposables, et précise les modalités d'instauration de la sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès.

Le caractère opposable d'éventuelles directives anticipés qui iraient dans le sens de la  limitation ou de l'arrêt des traitements ne dispense pas un médecin qui chercherait à les respecter d'organiser la délibération collégiale, exactement dans les mêmes conditions que si le malade n'en avait pas rédigé.

Deux modalités de dérogation au principe de respect des directives anticipées ont été prévues par la loi du 2 février 2016 : (1) en cas d'urgence vitale, le temps nécessaire à l'évaluation complète de la situation médicale ou (2) si le médecin en charge du patient juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, mais à condition qu'il y ait eu une délibération collégiale.

  • En cas d'urgence vitale, le décret d'application ne prévoit aucune disposition particulière. 
  • En revanche, si le médecin juge les directives anticipées manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale, la collégialité requise par le décret d'application pour les transgresser a exactement les mêmes formes que celles de la collégialité requise pour une décision d'arrêt des traitements. Comme pour une décision d'arrêt des traitements, la décision du médecin en charge du patient doit être tracée et motivée dans le dossier médical.

La loi du 2 février 2016 a instauré un droit à une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie et à l'arrêt des traitements de maintien en vie dans trois cas précis : (1) à la demande d'un patient atteint d'une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme, s'il présente une souffrance réfractaire aux traitements ; (2) lorsque la décision du patient atteint d'une affection grave et incurable d'arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d'entraîner une souffrance insupportable ; (3) lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, [qu']au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, [...] le médecin arrête un traitement de maintien en vie.

  • Dans les trois cas, que le patient soit conscient ou non, le décret d'application indique que la décision de recourir à la sédation continue jusqu'au décès est prise par le médecin en charge du patient après une délibération collégiale. Les motifs du recours ou non à cette sédation sont inscrits dans le dossier du patient. S'il est conscient, le patient est informé de la décision et de ses motivations.  S'il ne l'est pas, la personne de confiance, ou, à défaut, la famille, ou l'un des proches du patient est informé des motifs du recours à la sédation profonde et continue

Par ailleurs, ce décret renforce considérablement le rôle de l'entourage des patients. Sauf urgence ou impossibilité, aucune intervention médicale pour un malade hors d'état d'exprimer sa volonté ne pourra être effectuée sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé. Ces personnes seront informés de droit, non seulement des décisions prises à l'issu des diverses délibérations collégiales, mais aussi de leurs motivations.

Ce premier décret vient donc consacrer la collégialité, organisée toujours exactement dans les mêmes termes, comme la modalité décisionnelle unique pour les décisions les plus importantes en fin de vie. D'une manière plutôt inattendue, il l'impose également pour instaurer la sédation continue pour les malades conscients qui la demandent.

Lors de la parution de la loi du 2 février 2016, certains s'étaient offusqués de ce que les directives anticipées soient, certes, rendues opposables, mais qu'elles ne soient pas contraignantes pour le médecin, puisqu'il était prévu qu'il puisse déroger au principe de leur respect. En réalité, si tel n'avait pas été le cas, on aurait créé un domaine d'irresponsabilité juridique pour le médecin en charge du patient, ouvrant la possibilité d'une indifférence protégée par la loi, mais contraire à la déontologie, à l'éthique et aux intérêts du patient. En étendant l'obligation de délibération collégiale à la mise en œuvre de la sédation continue pour tous les patients, le gouvernement a sans doute voulu éviter un piège du même ordre pour cet acte d'une haute portée symbolique. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des textes, le médecin qui applique les directives anticipées ou qui instaure une sédation continue jusqu'au décès sera, de fait, authentiquement responsable de ses actes, puisque la possibilité de ne pas les décider lui est conservée.