Un essai clinique de greffes d’utérus va débuter en France

Une équipe du CHU de Limoges a été autorisée à débuter un essai clinique à partir d'organes issus de donneuses en état de mort cérébrale. Contrairement à ce qui a été laissé entendre, il ne s'agit pas d'une pratique appelée à devenir courante avant de nombreuses années. Néanmoins, des questions éthiques peuvent être anticipées.

Un article de Sadrine Cabut paru dans Le Monde du 10 novembre 2015 intitulé "Feu vert pour les greffes d'utérus en France" informe que l’Agence Nationale de Sécurité du médicament et des produits de la Santé (ANSM) a autorisé le 5 novembre dernier un projet de recherche clinique sur la transplantation d’utérus au CHU de Limoges.

 

  • Il s'agit d'un projet de recherche

Il s’agit ici d’un projet d’essai clinique, qui a, en réalité, débuté dès 2007 grâce à la collaboration de plusieurs services du CHU de Limoges : gynécologie, pharmacologie, néphrologie, réanimation, AMP. Tristan Gauthier, Pascal Pivert et coll., après avoir fait des autogreffes et des allogreffes chez la brebis, ont testés, avec l’accord de l’Agence de la Biomédecine (ABM), les conditions dans lesquelles des utérus pouvaient être prélevés dans un programme de prélèvements d’organes chez les femmes en état de mort cérébrale.

 

  • Qu'en est-il de la pratique de la greffe utérine aujourd'hui ?

A l’heure actuelle, une seule équipe à Göteborg en Suède a obtenu des naissances après greffe d’utérus de donneuses vivantes. La première naissance a eu lieu en octobre 2014 et, au total, quatre bébés seraient ainsi nés (les trois autres non publiées) selon une communication de Pernilla Dahm Kähler au congrès de la Société Européenne d’Oncologie Gynécologique.

A l’instar d’un groupe de chercheurs britanniques qui a reçu l’autorisation en septembre dernier de lancer un essai sur une dizaine de femmes au Royaume-Uni, l’équipe de Limoges a choisi de pratiquer des greffes d’utérus à partir de donneuses en état de mort cérébrale afin d’éviter d’exposer les donneuses vivantes à des complications chirurgicales, mais aussi par souci éthique.

Une autre équipe médicale française, animée par Jean-Marc Ayoubi et René Frydman, de l’hôpital Foch de Suresnes travaille sur un projet comparable, mais ils envisagent d’utiliser des donneuses vivantes (par exemple ; transsexuelles femmes voulant devenir des hommes. Cette autre équipe a fait le choix de donneuses vivantes car, à ce jour, seules les greffes de donneuse vivantes ont permis des naissances). Ils n’ont pas encore reçu l’accord des autorités (ABM-ANSM).

 

  •  Le déroulement du protocole

Le protocole va porter sur huit femmes volontaires. Ses critères de sélection stricts minimiserons les risques de complications, « Les patientes devront avoir entre 25 et 35 ans, ne jamais avoir eu d’enfants et être ne bonne santé ».

Toutefois l’acceptation de l’ANSM n’est qu’une première étape. On pourrait s'attendre une première naissance vers fin 2018. Selon le chirurgien Tristan Gauthier interrogé par Le Monde« la première greffe se fera au mieux fin 2016 avec l’inconnue de la durée d’attente d’un greffon compatible. Ensuite, il faudra attendre un an avant que la greffe soit stabilisée, avant de mettre en route une grossesse par fécondation in vitro. La première naissance n’aura donc pas lieu avant fin 2018».

 

  • Une chirurgie encore au stade expérimental, mais des débats à prévoir

La transplantation utérine pourrait être une alternative à l’adoption ou à la gestation pour autrui (interdite en France) pour certaines femmes infertiles. Depuis la naissance d’un enfant vivant en Suède, cette alternative devenue crédible soulève un immense espoir. Si elle est possible, est-elle pour autant souhaitable et si oui, dans quelles conditions ? C’est à cette question que le rapport du 23 juin 2015 de l’Académie nationale de médecine essaie de répondre.

La greffe d’utérus a la particularité de ne pas être vitale, elle permettra peut-être de donner la vie, de réparer un sentiment d’injustice : "doit-on prendre un risque vital pour la mère, pour la greffe d’un organe qui ne l’est pas". Sachant, de plus, que cette greffe ne sera que temporaire afin d’éviter d’exposer la parturiente aux effets de l’immunosuppression (traitement classique en cas de greffe pour éviter le rejet).

Il est à rappeler que la transplantation avec donneuse en état de mort cérébrale n’a pas encore permis une grossesse menée à terme. C’est à ce titre qu’il convient de rester prudent et de ne pas comparer l’expérience de la Suède avec celle de l’équipe de Limoges. De plus, la transplantation avec donneuse en état de mort cérébrale suppose d’avoir des organes à greffer, or l’on sait que la disproportion entre l’offre et la demande est plus que flagrante.

Outre les aspects purement techniques, il n’y a pas de recul quant à l’avenir de l’enfant à moyen et long terme, son développement psychomoteur et celui de son système immunitaire. Nous ne connaissons pas les effets du traitement immunosuppresseur sur l’enfant, ni la réaction de celui-ci lorsqu'il apprendra sa venue au monde à partir de l’utérus du cadavre d’une inconnue.

L’Académie nationale de médecins posait la question ainsi : " Quelles serait la légitimité d’une mère, en cas de transplantation utérine et d’un don d’ovocyte, qui ne serait ni une mère biologique, ni une mère « utérine », la mère portant alors dans un utérus qui n’est pas le sien, un enfant qui n’est pas celui de son couple ".

Ainsi, les conséquences du surgissement de cette technique dans le débat de société au sujet de la GPA ne sont pas pour l'instant réellement prévisibles. De plus, la question de savoir si on devra la réserver aux sujets biologiquement féminins se posera certainement un jour...