Covid-19, traçage épidémiologique et éthique médicale
La phase de sortie de confinement, qui sera progressivement mise en place dans quelques jours, devra être surveillée avec la plus grande vigilance pour détecter toute résurgence éventuelle de l’épidémie de Covid-19.
Le projet législatif prorogeant l’état d’urgence sanitaire prévoit la création d’un système d’information spécifique « aux seules fins de lutter contre l’épidémie de Covid-19 »[1]. Des données d’identification sur les personnes infectées et leurs contacts pourront y être partagées. Il est également envisagé d’adapter les systèmes d’information existants pour le temps nécessaire à la lutte contre l’épidémie, ou au plus tard pour un an à compter de la publication du texte de loi, les données ainsi collectées ne pouvant être conservées au-delà de ce terme.
Ce nouveau système d’information aurait pour finalité l’identification des personnes infectées et des personnes ayant été à leur contact, leur mise en quatorzaine et leur suivi médical. Le texte cite les autorités impliquées dans cette surveillance épidémiologique qui pourront avoir accès aux « seules données nécessaires à leur intervention », notamment les agences régionales de santé ou encore « un organisme d’assurance maladie ».
Au plan épidémiologique, un tel suivi des personnes infectées ou à risque d’infection peut être efficace puisqu’il permettra de réaliser, outre le suivi médical des personnes infectées, le dépistage et l’isolement des personnes pouvant avoir été contaminées à leur contact.
Mais il faut souligner que le dispositif proposé porte atteinte à deux droits fondamentaux : d’une part, il permet la circulation de données personnelles de santé, « le cas échéant hors le consentement des intéressés », créant une exception à la libre volonté des personnes ; d’autre part, il introduit une nouvelle dérogation au secret médical. Or, le secret médical est un principe majeur du droit des personnes, une composante de la dignité humaine et du respect de la vie privée, un élément fondamental de la relation de confiance médecin – malade.
L’état d’urgence sanitaire peut-il justifier une mesure d’exception qui bafoue deux droits majeurs de notre système de santé ? Une telle démarche n’est envisageable que si elle est proportionnée aux risques encourus. Plusieurs conditions d’ordre éthique et juridique devront alors impérativement être garanties :
une large communication devra précéder la mise en œuvre de ce dispositif, avec une information précise, factuelle, compréhensible par tous et loyale sur les systèmes d’information mis en place et le circuit de transmission des données nominatives ;
il devra être possible pour toute personne informée de son infection Covid-19 de s’opposer à la transmission des informations le concernant, sans que ce choix n’ait de conséquence sur sa propre prise en charge médicale ;
toutes les données transmises pour exploitation devront se limiter strictement à ce qui sera nécessaire pour la lutte contre l’épidémie et être protégées par un code d’anonymat ;
les autorités et les salariés ayant accès à ces informations seront précisément listés, chacune de ces personnes n’ayant accès qu’aux seules données utiles à son intervention ;
toute personne entrant ainsi en possession d’informations nominatives sur les patients infectés sera tenue au plus strict respect du secret professionnel ;
les systèmes d’information créés devront être hautement protégés et fonctionner pendant une durée limitée, ne devant en aucun cas excéder le temps nécessaire à la lutte contre l’épidémie ; un terme maximum devra être énoncé ;
toutes mesures devront être prises afin qu’aucune des données nominatives ainsi collectées ne soit conservée après ce terme.
Sous réserve du respect absolu de ces 7 prérequis, l’Académie nationale de Médecine :
– donne un avis favorable à la mise en place temporaire d’un système d’information et à l’adaptation temporaire de systèmes d’information existants, visant au contrôle de l’épidémie de Covid-19 ;
– recommande une évaluation en cours et terminale pour vérifier la stricte observation de ces sept conditions et pour s’assurer que le caractère temporaire de cette autorisation, fixé par une date butoir, a évité toute pérennisation.
[1] Sénat, Projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, n° 414, 2 mai 2020