Revenir à l'accueil des états généraux dans les Hauts-de-France

Le Conseil d’État livre sa lecture du modèle bioéthique français

Saisi par le Premier ministre d’une demande de cadrage juridique préalable à la révision de la loi de bioéthique, le Conseil d’Etat a mis en ligne ce 11 juillet un avis juridique de principe sur la procréation, les conditions du don d’organes, de tissus, de cellules y compris les gamètes, du don du sang, la génomique, les neurosciences, l’intelligence artificielle et les données numériques de masse, la fin de vie, et la notion "d'enfants intersexués".

L'avis mis en ligne ce 11 juillet est en réalité un résumé de l‘étude « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? » qui a été adoptée par l’Assemblée plénière du Conseil d’Etat le 28 juin 2018 et remise au Premier ministre le 6 juillet 2018, sous la forme d'un document de 261 pages. Dans ce document, le Conseil analyse sur le plan juridique les questions sur lesquelles il a été saisi et les confronte à ce qu'il appelle les "principes du modèle bioéthique français", à savoir :

  • la place prééminente du principe de dignité qui se traduit par une protection particulière du corps humain : respect, inviolabilité et extra-patrimonialité du corps
  • la prise en compte du principe de liberté individuelle, qui s'exprime à travers l'obligation de consentement, le droit au respect de la vie privée, l'autonomie du patient
  • l'importance accordée au principe de solidarité, avec une certaine conception du don altruiste, l'attention portée aux plus vulnérables et la mutualisation des dépenses de santé.

PROCRÉATION

  • Concernant le droit à l'Assistance médicale à la procréation (AMP), le Conseil ne retient ni les argumentations juridiques des demandeurs de l’élargissement de l'accès à l'AMP à toutes les femmes au nom de l'égalité, ni ceux de leurs opposants qui invoquaient le droit de l'enfant à une double filiation sexuée. Le Conseil constate donc que le droit n'impose ni le statu-quo, ni une évolution obligatoire de la législation et renvoie la question dans le champ du politique. Si d'aventure un élargissement des conditions d'accès à l'AMP était décidé, le Conseil invoque l'intérêt général pour poser l'obligation d'inventer une "filiation spécifique permettant tant à la mère biologique qu’à la mère d’intention d’établir son lien de filiation à l’égard de l’enfant dès la naissance de celui-ci, de manière simple et sécurisée sans imposer une réforme d’ensemble du droit de la filiation." Dans ce cas, il préconiserait le remboursement pour toutes les femmes, au nom de l'égalité.
  • Concernant la congélation des ovocytes, le Conseil tient le même raisonnement pour constater l'absence de contrainte juridique que ce soit en faveur de l'évolution du droit ou, au contraire, de sa conservation. Il renvoie le débat dans le champ de l'éthique, soulignant à la fois les possibilités émancipatrices pour les femmes qui pourraient éviter d'avoir à choisir entre une carrière et la procréation, mais aussi le risque d'asservissement à la pression psychologique de leur employeur.
  • Concernant la gestation pour autrui, le Conseil constate son incompatibilité avec le principe d'indisponibilité du corps humain.
  • Concernant l'accès aux origines pour les enfants issus d'un don de gamète, le Conseil y est favorable, à la majorité de l'enfant, et condition que le donneur y ai préalablement consenti.
  • Concernant la procréation post mortem, le Conseil souligne la contradiction qu'il y aurait à interdire à une veuve l'utilisation du sperme ou des embryons conservés dans une optique de procréation du couple, tout en lui ouvrant parallèlement une possibilité d'accès à l'AMP en tant que femme seule. Il ne voit pas d'obstacle à une évolution de la législation sous trois conditions : (1) une procédure de vérification du projet parental du couple, (2)  l'instauration d'un limite de temps et (3) l'établissement d'une filiation avec ouverture de droits successoraux pour les enfants nés de cette manière.

FIN DE VIE

  • Le Conseil préconise la mise en place des dispositions prévues par les récentes évolution législatives avant toute évolution, notamment en rendant effectif l'accès aux soins palliatifs.

GÉNÉTIQUE, GÉNOMIQUE

  • Le Conseil questionne l'utilité de l'interdiction des tests génétiques sans prescription médicale. Il souligne la nécessité de  maintenir l'interdiction de réaliser des tests pour un tiers et d’empêcher les assureurs et les employeurs d'avoir accès à ces données.
  • Concernant les interventions sur le génome des cellules germinales ou embryonnaires, le Conseil constate leur incompatibilité avec la convention européenne d'Oviedo et aux dispositions du Code civil français qui interdisent les modifications du génome transmissibles à la descendance.

INTERSEXUALITÉ

  • Le Conseil propose de retarder la mention du sexe sur les documents d'état civil des enfants présentant une ambiguïté sexuelle, jusqu'à un âge où les intéressés pourront consentir.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ET BIG DATA

  • Le Conseil souligne " l'importance de l'humain, qu'il s'agisse du consentement indispensable du patient à l'utilisation par d'autres de ses données ou du rôle irremplaçable du médecin dans l'établissement d'un diagnostic et la conduite du colloque singulier ".
  • Il pose un impératif d'explicabilité pour les dispositifs d'aide à la décision médicale.
  • Il préconise l'instauration  d'une certification particulière pour les objets connectés dans le domaine de la santé et alerte sur le risque de dérive induit par les dispositifs de surveillance de l'observance, notamment en matière de remboursement des soins par la sécurité sociale.