Enjeux éthiques d'une poilitique vaccinale contre le SARS-COV2

Réponse du CCNE à la saisine du ministre des solidarités et de la santé.

Source : Communiqué de presse du CCNE

Le ministre des solidarités et de la santé a saisi le 20 novembre 2020 le CCNE afin qu'il " contribue à la définition d'un cadre éthique sur la politique de vaccination, en particulier sur l'obligation de la vaccination contre la Covid-19, ainsi que sur les questions liées à la possibilité de [...] choisir entre plusieurs types de vaccins. " Cette saisine a été faite alors que se met en place une nouvelle stratégie de prévention avec l'arrivée de vaccins dont les phases III viennent d'être publiées dans des revues scientifiques et qu'ils vont recevoir en Europe une autorisation de mise sur le marché. Si cette nouvelle stratégie est porteuse d'espoir contre une infection responsable de plus de 60 000 décès en France, on manque encore de données sur l'efficacité de ces vaccins à moyen et long terme en fonction des populations-cibles, leurs éventuels effets secondaires et on ne sait pas encore s'ils réduisent la transmission du virus. D'autres vaccins devraient être examinés en cours d'année 2021 par les autorités de santé laissant augurer une diversification de l'offre vaccinale. Le CCNE fait part de ses réflexions dans une Opinion adressée au ministre le 18 décembre " Enjeux éthiques d'une politique vaccinale contre le SARS-COV-2 ".

L'urgence de répondre à la pandémie de Covid a déclenché une mobilisation scientifique et médicale internationale exceptionnelle qui, en quelques mois, a permis de caractériser le virus, son génome, son infectiosité, ses modes de transmission. Elle a conduit aussi à mieux prendre en charge les patients, même si aucun traitement curatif efficace contre le virus n'existe à ce jour. La mobilisation croisée de la recherche académique et industrielle a permis que, quelques mois après le début de la pandémie, des approches vaccinales voient le jour. Elles sont d'ores et déjà proposées à certains groupes de population aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, et le seront prochainement en Europe.

Cependant, cette vitesse technologique exceptionnelle n'efface pas totalement l'incertitude qui subsiste quant à la sécurité et à l'efficacité des vaccins et contribue en partie à nourrir le doute au sein d'une partie de la population. Par ailleurs, la campagne vaccinale imminente se présente avec une disponibilité limitée des vaccins pour les premiers mois.

Ce contexte fait émerger l'urgence de définir un cadre éthique capable de sous-tendre la politique en matière de vaccination. Celle-ci illustre, plus que d'autres champs de la médecine, un conflit éthique entre les intérêts de la société et les intérêts individuels. Car si le vaccin protège la personne, il peut protéger aussi les autres, mettant en évidence le caractère altruiste et l'utilité sociale de la vaccination.

La réflexion éthique, rappelle le CCNE, "doit respecter les principes qui fondent l'éthique médicale et les droits fondamentaux de toute personne, notamment l'égalité, l'équité, le respect des principes d'autonomie et de consentement, de bienveillance et de non-nuisance, le rapport entre bénéfice collectif et risque individuel, de justice pour déterminer les conditions d'accès". Ces principes doivent s'appliquer en dépit du caractère exceptionnel de la pandémie, " car il faut absolument écarter l'idée qu'une "éthique d'exception" pourrait guider la réflexion ".

Cette Opinion du CCNE constitue une première réflexion sur les enjeux éthiques posés à très brève échéance par l'allocation des premiers vaccins aux personnes vulnérables dont les personnes âgées vivant dans les EHPAD. L'enjeu dans les prochains mois est de sauver des vies, il ne concerne pas dans cette période l'ensemble de la population. Les étapes suivantes de la stratégie vaccinale dépendront de l'arrivée de nouveaux types de vaccin, de l'évolution du contexte épidémiologique, de celle des connaissances scientifiques et médicales sur les effets indésirables des premiers vaccins, de leur capacité à arrêter la transmission virale. Elles ne peuvent être anticipées au vu de l'incomplétude des connaissances actuellement disponibles. Le CCNE pourrait donc se prononcer à nouveau, notamment sur les questionnements éthiques que soulèverait une allocation plus large des vaccins pour une population plus jeune.

Dans son Opinion, le CCNE suggère le respect de quelques règles pour la mise en place d'un cadre éthique dans une situation qui nous confronte à la difficulté de faire des choix collectifs et individuels, alors que sont inconnus certains paramètres importants pour la décision :

  • délivrer une information transparente et compréhensible sur le développement et l'évaluation des vaccins dans un contexte d'urgence, ainsi que sur les processus délibératifs ayant conduit à leur allocation ;
  • faire preuve de vigilance dans le processus de recueil du consentement à la vaccination des personnes vulnérables. Le temps imparti à la délivrance de l'information et à son appropriation par la personne doit être respecté, quel que soit le contexte d'urgence. L'effectivité de ce processus doit pouvoir être tracé ;
  • inciter les établissements accueillant les personnes vulnérables éligibles à la vaccination à appuyer leur démarche sur la réflexion éthique. Celle-ci pourrait être animée au plus proche du terrain par les Espaces régionaux de réflexion éthique (ERER) afin de soutenir les acteurs dans la mise en œuvre de la politique vaccinale ;
  • prendre en compte la diversité des points de vue sur la vaccination, en favorisant une délibération collective sur la valeur du geste vaccinal ;
  • réexaminer constamment les choix au vu des nouvelles connaissances et expériences afin de vérifier que les décisions prises respectent toujours les principes éthiques ;
  • veiller au respect des règles de protection des données, de la vie privée et du secret médical dans la collecte et l'utilisation des données, celles-ci étant indispensables à la traçabilité des événements associés à la vaccination, à des fins de pharmacovigilance, de recherche épidémiologique ou en santé publique.

Enfin, le CCNE rappelle l'exigence morale de solidarité internationale que revêt la mise sur le marché des vaccins contre la Covid, qui sont un " bien commun mondial ": Il est urgent et indispensable de faciliter l'accès à la vaccination pour les pays à ressources limitées, et de réduire la crise économique imputable à la pandémie. Celle-ci touche l'ensemble des pays, la réponse doit être globale.