Humeur : le nouveau Kop

 

Par Dominique Peyrat (23 avril)

Dominique Peyrat

La pandémie du covid 19 fait apparaître un phénomène social inédit: applaudir aux fenêtres ou aux balcons les soignants le soir. Serait-ce le signe d'un renversement dans le champ des admirations ? Un nouveau spectacle avec un public de supporters qui ne pouvant plus fréquenter les stades, s'est créé d'étonnants gradins, un "Kop" à domicile.

Osons un rapprochement cruel: à l'époque de la Rome Antique, les masses s'agglutinaient dans les arènes pour acclamer les gladiateurs.

Aujourd'hui, ce nouveau public, qu'acclame t-il ? La lutte du bien contre le mal, le sacrifice de soignants travaillant sans réelle protection ou simplement de nouveaux héros, dans l'ennui du désœuvrement forcé ?

Eh oui la crise et son confinement nous a apporté un bienfait énorme: une pause. L'arrêt du spectacle sportif professionnel ! Avec en corollaire, des médias moins abreuvés des caprices des vedettes du sport professionnel, en particulier des footballeurs aux revenus mirobolants, aux caprices de divas. Les commentateurs alliant pseudo sciences, rumeurs, courrier du cœur, spéculation sur la valeur marchande de ces faux dieux transférables sont moins présents.  

 Cette pause sera t-elle la première étape d'une prise de conscience, d'une réflexion sur la place du sport professionnel ?

Est ce que ce sera un événement passager ou irréversible interrogeant sur les choix culturels de la société, sur la mondialisation du sport ? Marc Perelman [1]en 2008 nous alertait sur ce phénomène qu'il comparaissait à une pandémie produisant une société inculte et cruelle.

Espoir d'une interprétation ou jugement différent sur la valorisation de ces acteurs. Qu'en est il du bon, du  juste ou du vrai  du sport, au regard du combat pour sauver des vies ?

La société s'avancera t-elle dans la mise en balance des coûts du maintien de l'ordre autour des stades de football  par rapport aux défauts de ressources de notre système de santé ? Un nouvel horizon pour une vision différente des enjeux.

Le sport professionnel offre une réduction du modèle capitaliste à son vecteur le plus puissant [1]. Une alliance de l'esprit d'entreprise et de la capacité à communiquer, envahissant les média. Tout dans l'immédiateté, la violence et in fine  la marchandisation.

La pandémie du Covid-19, par sa brutalité et les drames provoquées nous offrira peut être une nouvelle perspective, nous nous en rendrons compte si cela  influence  les stéréotypes de la publicité.  Observerons-nous un renversement? Les valeurs phares des soignants: solidarité, bienfaisance, empathie, utilité remplaçant les critères repérés des sources de l’admiration des stars sportives, à savoir individualisation, intellectualisation, aspect esthétique.

Ne rêvons pas, la distanciation sera difficile. Applaudir les soignants pourrait s'inscrire dans notre histoire tel un mythe en petit [2]. Se sevrer du spectacle du sport professionnel serait une démarche ardue. Dans les addictions comportementales, le déterminisme des comportements est pluri-factoriel dont une part individuelle et une part liée à l'offre et l'accessibilité. Un diagnostic de dépendance se fondant sur trois critères: perte de contrôle, dysfonctionnement social et la prise de risques. Une période d'abstinence serait-elle envisageable, une rémission partielle ou totale possible ?

Pour le philosophe Gunther Anders [3] la retransmission des images du sport se caractérise par son ambiguïté ontologique. Ce sont des événements à la fois présents et absents, réels et apparents, là et pas là parce qu'ils sont des fantômes.

L'interruption précoce de nombreuses compétitions professionnelles nous offre une opportunité imprévue. La dimension magique de la mondialisation de l'image sportive  altérée, un œil ouvert sur un autre monde devient possible.

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Références

  1. Marc Perelman, Le sport barbare Critique d'un fléau barbare ,Michalon, 2008.
  2. Claude Hagége: L'homme de paroles ; Folio 1986, Le mythe ne se définit pas par l’objet de son message mais par la façon dont il le profère
  3. Gunther ANDERS, L'obsolescence de l'Homme, Paris Ivrea/Encyclopédie des nuisances, 2002.

 


Dominique Peyrat est médecin généraliste, attaché au service d’addictologie du CHR de Lille et à l’EPSM Lille agglomération et membre de la commission consultative de l'EEHU de Lille