Ce que nous apprend le confinement.

 

Par Gérard Cotté (19 avril)

Gérard Cotté

Ce que nous apprend le confinement.

 

Auteur : Gérard Cotté, psychanalyste

 

 

En tant que psychanalystes, cette période inédite de confinement nous a amenés à aménager des nouvelles modalités de relation avec nos patients. Ce qui est au cœur de notre travail, à savoir la relation transférentielle, s'en trouve réinterrogé. On peut en tirer un certain nombre d'enseignements au-delà même de la pratique psychanalytique.

Tout d'abord il faut se féliciter de l'apport des moyens de communication offerts par internet qui nous permettent de maintenir un lien vivant avec bon nombre de nos patients. Si certains préfèrent attendre la fin du confinement pour reprendre les séances, les trois quarts d'entre eux se saisissent de cette possibilité pour poursuivre leur travail. Il s'agit alors d'établir entre eux et nous ce nouveau cadre analytique : lieu, durée des séances, rythme, paiement....On constate que certains développent des capacités d'adaptation étonnantes, faisant preuve d'une créativité qu'ils n'auraient pas soupçonnée eux-mêmes. Par ailleurs, ils témoignent pour la plupart de la souffrance provoquée par les nombreuses contraintes qu'ils doivent supporter, surtout ceux qui ont charge de famille ou qui à l'inverse sont très isolés.

 

Importance de la présence

Ce que mettent en évidence ces téléconsultations, c'est l'importance de la présence. Cette dimension de la présence qui fait défaut, dans l'absence de sa dimension corporelle. Bien sûr il y a langage, échange de paroles, association libre mais il manque tous les signes non verbaux qui révèlent par leur absence toute leur importance dans la relation analytique ou plus largement psychothérapeutique. Je voudrais élargir cela à toute relation professionnelle qui engage une présence à l'autre. Les soignants bien sûr, mais aussi les enseignants, les éducateurs, les juristes.....
Ce qui m'a le plus marqué dans ces séances à distance c'est par exemple la difficulté à saisir la valeur des silences. En présence de l'autre on peut ressentir la qualité de ces silences. Sont-ils des espaces d'élaboration, une résistance ou au contraire un moment d'effondrement où le sujet se sent abandonné. Les signes non verbaux, la respiration, les mouvements, le regard tant du côté du patient que du thérapeute font partie du travail d'élaboration en jeu au cœur de la relation. Les derniers travaux dans le champ de la psychanalyse, dont Winnicott et Bion ont été les pionniers, donnent toute leur place à cet espace inter psychique qui se crée dans toute situation relationnelle. Un auteur comme Benedetti [1] a proposé la notion de "sujet transitionnel". Il y a dans toute situation relationnelle une bonne part d'inconscient et des mouvements de projections et d'introjections. Ces mouvements entraînent une certaine confusion qui font qu'on ne sait plus ce qui appartient à l'un ou l'autre des protagonistes. C'est ce type de transaction psycho affective qui explique qu'après un entretien avec quelqu'un de très déprimé on puisse se sentir épuisé alors que le patient lui va beaucoup mieux.
Dans les entretiens par téléphone, ou même par vidéo, nous sommes privés de bon nombre de ces éléments même s'ils ne sont pas complètement absents. On peut dire que l'écran a une double fonction qui conjugue des dimensions contradictoires : il permet de voir l'autre mais aussi il fait écran au sens d'obstacle réduisant l'autre à une vision aseptisée en deux dimensions.

 

Le danger du numérique dans son aspect réducteur

La prise de conscience de ce qui nous manque actuellement du fait du confinement doit nous amener à réfléchir à ce que ces nouveaux moyens de communication et de gestion peuvent pervertir dans les relations soignantes et plus généralement les relations d'aide. La logique informatique qui ramène toute communication à un système d'information côté 0 ou 1 risque d'abraser complètement cette richesse et cette complexité des relations inter humaines. Au moment où l'on parle de télé médecine, de procédures judiciaires qui pourraient se régler en ligne, d'enseignement à distance sans présence du professeur.....il y a lieu de s'interroger des conséquences d'une telle évolution. Si on peut se féliciter de ce qu'offrent ces outils pour faire face au confinement, il semble urgent de réfléchir à ce qui est en route déjà depuis quelques temps dans le développement de ces techniques de mise en relation.

Cette volonté de tout transcrire en termes de procédures, de vouloir décortiquer tous les actes soignants de façon à pouvoir nourrir le logiciel, témoignent d'une idéologie de la transparence qui viendrait enfin résoudre le flou et la complexité des inter relations humaines. On est face à un projet de transparence où tout serait transcrit dans une sorte de NOVLANGUE.

Je peux donner quelques exemples de cette dérive où l'on fait l'économie de la rencontre avec ce qu'elle suppose d'éprouvant.

  • La psychiatrie quand elle se résume à un catalogue de signes qu'il s'agit de répertorier au sein du DSM. Quand le questionnaire remplace l'entretien.
  • Le travail infirmier en hôpital de jour quand on demande chaque jour de décrire tous les actes de soin auprès des enfants au détriment du sens que cela prend dans le projet de soin global
  • L'inflation des diagnostics en pédopsychiatrie basés uniquement sur des tests sans rendre le temps d'évaluer le contexte. (TDAH, Dys.. .)
  • L'orientation des étudiants avec parcours sup sans qu'on sache bien comment sont construits les algorithmes.

Dans la rencontre avec le soignant, l'écran prend de plus en plus de place à tel point que parfois on ne se sent plus exister face au médecin ou à l'infirmier qui doit nourrir le logiciel. Sûrement que ces outils ont permis d'améliorer le suivi de chaque patient mais en faisant parfois oublier ce que Balint avait mis en évidence voilà maintenant plus de 50 ans : " le remède médecin [2] ".

Cet oubli permet aussi de comprendre la souffrance professionnelle de tous ces corps de métier où la dimension de la présence est fondamentale. Ces professionnels vivent au quotidien l'importance de l'aspect relationnel et ne peuvent l'annuler mais cette dimension n'est pas reconnue par un management qui ne reconnait que les actes, c'est-à-dire la partie visible du travail.
Pierre Delion [3] parle de la "fonction PHORIQUE" qui entraîne les professionnels à accueillir sur leurs propres épaules psychiques une partie des soucis qui président aux demandes qui leur sont adressées. On sait bien que toute demande en cache une autre plus secrète avec sa part d'inconscient. Ce poids est actuellement de plus en plus lourd du fait d'un fonctionnement social qui vise à tout rationaliser, tout rentabiliser, à travailler à flux tendu ce qui entraîne une grande souffrance physique et psychique dont le professionnel se fait le réceptacle. Cela se traduit par des somatisations multiples, des troubles du comportement, une agressivité ambiante, un Burn out...

 

Se donner les moyens de penser

On peut espérer que cette période de confinement, qui met bon nombre d'entre nous à l'arrêt nous amène à réfléchir à toutes ces questions qui engagent l'avenir. Rien n'est moins sûr car va-t-on continuer à développer ces formes de relation à distance source d'économie dans de nombreux domaines ou, au contraire, va-t-on permettre de remettre les outils informatiques à leur juste place ? Il y a lieu de promouvoir des espaces pour penser, sortir de l'urgence quand ce sera possible pour repenser la place des outils gestionnaires, les procédures, les échelles d'évaluation.... afin de remettre en valeur ce qui n'est pas mesurable mais essentiel dans tout métier de relation : la possibilité de penser les investissements psycho-affectifs engagés dans ce travail.
Pour cela, il faut aménager des espaces d'échanges où la parole puisse se dire sans trop de contrainte hiérarchique de façon à permettre à chacun d'élaborer ce qui s'est joué dans telle ou telle intervention. Des espaces qui ne sont pas des simples moments d'échanges d'informations mais un véritable partage des interrogations, des fatigues, des chocs affectifs, des désaccords, des rejets... C'est ce que Tosquelles a promu dans la psychothérapie institutionnelle. Il a pu constater qu'un patient allait mieux après une réunion où l'équipe en avait parlé.
Pouvoir penser en équipe, cela suppose ne plus être soumis à l'urgence, aux injonctions diverses contre productives. Je pense par exemple aux protocoles qui ont été imposé sur " la bienveillance " dans les démarches qualités. Parfois les institutions n'ont jamais été aussi malveillantes que depuis qu'elles appliquent ces protocoles. Imposer un mode relationnel, cela suppose qu'il n'y a plus d'authenticité dans la relation. Cela interdit aussi d'avoir des sentiments négatifs qui faute de pouvoir être exprimés seront d'autant plus dangereux.

Mon expérience de superviseur auprès d'équipes soignantes montre la richesse de ce travail d'élaboration en équipe où personne n'a le savoir mais où se co-construit en équipe au fur et à mesure du temps une éthique de soin.

Les leçons que nous allons tirer de cette épreuve du confinement restent bien incertaines. La prise en compte de tous les éléments que j'ai voulu développer ne se fera que par une vigilance de tous les acteurs de terrain et par une sensibilisation des acteurs politiques.

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[1] Cité par Christophe Chaperot. Psychothérapie psychanalytique des psychoses

[2] Balint : le médecin, son malade et la maladie.

[3] Delion : fonction Phorique, holding et institution. Eres

 


  • Gérard Cotté est psychanalyste