Réflexions autour de l'humanisation de la mort en temps de pandémie

 

Par Paulo Rodrigues

Paulo Rodrigues

Réflexions autour de l'humanisation de la mort en temps de pandémie

 Auteur : Paulo Rodrigues PhD

 Dans le contexte d’état d’urgence sanitaire, les mesures de protection dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et dans les unités de soins de longue durée (USLD) doivent être prises sans porter atteinte aux exigences de l’accompagnement des patients. En particulier, l’impossibilité pour les proches de contacter le patient et de l’accompagner dans ses derniers instants, constitue une déshumanisation de la mort qui n’est pas sans conséquences pour le patient lui-même, les soignants et les proches. Le respect de la dignité humaine implique le droit au maintien d’un lien social pour les personnes dépendantes, parfois l’unique et dernier lien qui les rattache au monde extérieur et à la vie[1].

Si la mort est un moment de « chaos », accompagner le mourant constitue l’effort d’y inscrire un sens à travers la présence, les paroles, les gestes symboliques et rituels. Ce qui ne se fait pas au moment de la mort ne sera jamais fait. Les proches risquent un deuil traumatique et l’émergence d’une culpabilité pathologique difficile à résoudre. En effet, le deuil commence déjà dans l’accompagnement des mourants. Mourir « seul » est une profonde déshumanisation du mourant et de ceux qui restent, quoi qu’il en soit des circonstances qui semblent le justifier.

En amont des situations critiques de fin de vie, il serait souhaitable de rétablir la communication entre le patient et la famille par les moyens technologiques possibles (visioconférence, téléphone, etc.), pour maintenir le lien et rompre l’isolement du patient. Dans les situations où une sédation profonde et continue jusqu’au décès est prévue, il serait important qu’avant la procédure les proches puissent avoir accès au patient, de manière directe ou indirecte.

Bien accompagner les mourants implique de tenir compte de leurs besoins spirituels et de veiller à ce que leurs derniers souhaits soient accomplis. L’accès à l’aumônier et à d’autres représentants religieux attitrés doit rester possible dans la situation actuelle de pandémie, car il s’agit tout de même d’une dimension de la prise en charge globale du patient.

Les risques de banalisation et de déshumanisation de la mort sont réels en temps de crise et d’urgence sanitaire. Or, dans ce temps du mourir, se pose en toute pertinence la question des tâches inachevées en attente de réalisation et d’achèvement, car il y a toujours, dans la vie de chacun, des « nœuds » à défaire : un pardon à demander ou à accorder, une réconciliation à faire, une personne à revoir, une disposition à mettre par écrit, un secret à révéler, un adieu à se dire. Ce travail fait, le patient pourra lâcher prise et l’entourage ne restera pas non plus prisonnier d’un deuil interminable ou d’une culpabilité pathologique.

La souffrance compromet parfois la capacité de dire, d’agir et de s’exprimer, mais il ne faut pas définitivement renoncer à une parole et à une action personnelles lorsqu’il s’agit de la mort d’un proche. Il est important de ne pas mourir seul et sans parole, sans avoir la possibilité de partager l’évènement de sa mort avec ceux que l’on aime. La symbolique et la ritualité séculière ou religieuse accomplissent un rôle irremplaçable dans l’apaisement du mourant et de la famille.

Il s’agit surtout de construire un sens autour de la mort prochaine. La ritualisation de la mort permet de combattre le retour du « chaos », de l’échec thérapeutique, de la souffrance ou du non-sens, en posant un geste symbolique qui ouvre l’horizon du sens. La ritualité offre de la sorte une densité symbolique à l’acte de mourir, une solidarité avec le mourant, face à l’épuisement de la technique médicale. Dans le rite ou la célébration familiale, il s’agit d’aider quelqu’un à mourir ‘vivant’, c’est-à-dire, de donner à ce passage une densité humaine. La mort d’un proche  c’est infiniment plus que la mort d’autrui en général.

« Enterrer les morts, réparer les vivants » (Tchékhov), c’est poser les conditions d’une humanisation du temps du mourir et de la mort en temps de crise, pour éviter aussi bien une mauvaise mort qu’un mauvais deuil. Pour ceux qui restent, c’est se donner la possibilité de continuer à vivre : pour la paix des morts et le bonheur des vivants.  

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Référence 

[1] Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE) - Réponse à la saisine du ministère des solidarités et de la santé sur le renforcement des mesures de protection dans les EHPAD et les USLD, 30 mars 2020.


  • Paulo Rodrigues est enseignant chercheur à l'institut catholique de Lille (EA ETHICS 7446) et membre du conseil de territoire du Nord Pas-de-Calais au sein de l'espace éthique des Hauts-de-France.