Est-on cynique à vouloir discuter des chiffres ?

 

Par Alain de Broca

Alain de Broca MD, PhD

Comment lire les chiffres COVID

Comment les interpréter ? Faut-il s’en étonner ?

Est-on cynique à vouloir discuter des chiffres ?

 

Auteur : Alain de Broca MD, PhD

 Quelle attitude prendre quand on reçoit les chiffres quotidiennement des personnes atteintes de COVID et notamment des personnes décédées dans ce contexte par les instances nationales ? Ils sont dramatiques par leur nombre et assommant par le fait que nous les accueillons sans filtre, ni retenue. Ils sont affichés pour informer assurément et aussi probablement pour rendre compte du travail de tous, des soignants (au sens large) bien sûr mais aussi des politiques qui montrent ainsi prendre avec vigueur et rapidité le problème en main.

Osons mettre en perspective les chiffres afin d’en tirer des conclusions pratiques.

 

Qu’en est-il de cette crise sanitaire. Que nous disent cependant les chiffres ? Peut-on s’aider de ceux-ci pour avancer ?

Au 15 avril 2020, les éléments du ministère rapportent le nombre de décès en lien avec le COVID 19 de 15529 décès COVID (10129 HOP ET 5600 EHPAD et établissements Sociaux [1]). 103573 cas de coronavirus ont été confirmés ou possibles sur l’ensemble de la période épidémique dont 71 903 hospitalisés dans les 1191 hôpitaux de France.

Il est cependant probable que le nombre de décès soit plus important que celui annoncé car on ne peut pas réellement comptabiliser les décès liés au COVID 19 à domicile surtout des personnes âgées voire même en EHPAD car toutes ces personnes n’auront pas pu être testées. Et le ministère considère qu’environ 5-10 % de la population a contractée le virus en France.

Ces chiffres sont importants et là encore il faut être en lien fort avec le familles endeuillées d’autant que les personnes décédées le sont dans ce contexte de « guerre » selon les propos de notre chef d’état et que depuis des années, tout mort sur le terrain de guerre a reçu les honneurs de la patrie. Ne doit-on pas donc les honneurs pour ces décès ? Et pourtant, le confinement empêche actuellement tout honneur à nos morts !

Caractéristiques des personnes décédées du COVID 19 ?

Aujourd’hui, on peut constater un élément rassurant. La mortalité du COVID 19 ne touche pas les enfants[2] ni les adultes sans pathologie particulière ou sans anomalie générale (inflammatoire ou autre). Cela n’empêche pas forcément pour ces adultes notamment, la nécessité d’une hospitalisation voire d’une réanimation, mais la quasi-totalité des personnes jeunes atteintes présente une maladie type grippale voire qui passe tout à fait inaperçue. Le nombre des personnes finalement immunisée est donc impossible à faire à ce jour.
Les décès surviennent chez des personnes qui ont des pathologies chroniques ou ont des comorbidités importantes. Ces personnes fragiles le sont d’autant plus qu’elles sont plus âgées. Cf. statistiques des hôpitaux recensant les décès en leur sein comme le CHU d’Amiens-Picardie [3] confirmé par le ministère de la santé sur 6000 décès recensés [4].

Ainsi les chiffres doivent non pas nous rassurer sur la crise sanitaire mais sur le fait que si la maladie est grave, elle l’est pour plusieurs raisons. La première est que ce virus était inconnu de l’humanité entière et qu’il faudra attendre que plus de 50 % de la population mondiale soit immunisée pour que la pandémie cesse. La seconde est que le virus n’étant pas si virulent pour une grande partie de la population avec de nombreuses personnes porteuses sans atteinte clinique permet la diffusion au plus grand nombre et notamment envers les plus fragiles.

On peut espérer que le vaccin permettra d’aller plus vite dans cette dynamique. En attendant, le virus sera grave pour les populations fragilisées, comme tout virus doit –on rappeler, (ex grippe, varicelle etc..).

 

Reprenons le chiffre de 15529 décès au 15 avril

Rappelons que le nombre de décès en France en 2019 est de 604000 [5]. Par ailleurs ce chiffre augmente chaque année. La mortalité en France, en Europe est a priori plus forte en moyenne les mois d’hiver. On déplore donc environ 1660 décès par jour en France (avec ou sans COVID) et ces décès le sont particulièrement parmi les personnes fragilisées ou âgées puisque la médecine arrive à empêcher que de nombreuses maladie graves amènent au décès celles et ceux qui autrefois mouraient rapidement de ces mêmes maladies.

On peut ainsi dire que depuis le 1 mars date des enregistrements complets du ministère de la santé, plus de 74700 personnes en France sont décédées (COVID compris) mais tout autant 139 400 décès depuis le 24 janvier 2020, date du premier mort de COVID en France.
Donc 11 % des décès de cette période le sont dans le contexte de COVID. Il reste donc 89 % des décès d’autres causes en France.

La population française est estimée avoir contracté le COVID dans 5% à 10 % de la population soit 4-6.5 millions d’habitants [6]. Le taux de mortalité est donc de 0,003 parmi la population dite atteinte du COVID c'est à dire que 2 à 4 personnes pour mille personnes atteintes du COVID sont décédées dans ce contexte, et parmi elles, 95 % sont des personnes âgées et porteurs de maladies chroniques.

Questions pratiques

  • Confinement certes, mais à quel point et pour quelles populations cibles ?
  • Confinement de quel type ? jusqu’aux visites interdites, aux soins impossibles – manque de kinésithérapie à domicile par exemple, reports des interventions dites non urgentes etc. ? Que dire des risques secondaires sur toutes les populations fragilisées ?
  • Comment ne pas prendre en compte la souffrance des familles endeuillées de personnes décédées d’autres causes quand tant de contraintes sont mises en place par le confinement qui devient obligatoire pour tous et pour tout, jusqu’à la fermeture des cimetières par exemple ?

 

Les décès en EHPAD ? Le confinement tel qu’il est réalisé a-t-il réellement du sens aujourd’hui ?

Préambule. Que dire des progrès sur le plan médical et sanitaire qui depuis 50 ans a permis de repousser les limites de la vie jusqu’aux confins de la possibilité physiologique [7]. L’espérance de vie est passée entre 1950 et 2019 de 63 ans à 80 ans pour les hommes et de 68 ans à 85,7 ans pour les femmes [8]. Les progrès ont été tels qu’il paraissait presque normal de tout repousser toujours plus loin, jusqu’à croire qu’on pourrait repousser les limites de la vie, mieux encore, vaincre la mort comme le voudraient les personnes prônant le transhumanisme.
La situation actuelle pandémique d’un virus nouveau nous renvoie à notre vulnérabilité et en cela à notre finitude.
Environ 10 % de la population française a plus de 75 ans soit environ 6 millions de personnes Et environ 1,4 millions de personnes vivent avec un degré de dépendance (défini ici comme GIR 1à 4) important [9].

Parmi elles, environ 700000 personnes sont en EHPAD publics et privés et Unité de longue durée, personnes dont la  dépendance est extrême pour la quasi-totalité (Gir 1-2) [10] c'est à dire  pressentant des comorbidités (plusieurs graves maladies ensembles chroniques) et handicaps associés sur des âges avancés (au-delà de 80-90 ans). Certains sont plus jeunes quand ils sont accueillis dans des centres pour personnes avec pertes cognitives majeures (ex. maladie type Alzheimer, Huntington).

Leur prise en charge est assurée de manière optimale grâce au dévouement des personnels paramédicaux mais aussi grâce à la venue des associations, des aumôneries, sans oublier des familles qui, jours après jours, donnent les soins optimaux pour que ces personnes hyper fragilisées vivent au mieux dignement ces derniers mois de vie. La survie est donc au prix d’un effort de tous devant des personnes extrêmement fragilisées. Ces fragilités entrainent que les personnes entrant en EHAPD –USLD décèdent dans les 2 ans à 3ans après leur arrivée,... d’une infection (bactérienne ou virale), d’une fausse route majeure, d’une énième chute, d’un accident vasculaire cérébral etc [11].

La mort est donc un processus dans la vie et celle-ci ne pourra pas être empêchée par une quelconque réanimation. On comprend ici que le coronavirus est cette « goutte d’eau » qui déséquilibre un équilibre extrêmement précaire. On ne peut donc pas s’attendre à ce que ces personnes résistent facilement à cette perturbation supplémentaire, malgré les soins apportés d’autant qu’aujourd’hui les thérapeutiques potentielles contre le COVID 19 ne sont pas sans graves effets indésirables voire sont contre indiqués chez ces patients.

On constate aujourd’hui que le confinement total c'est à dire celui qui consiste à « parquer », « bloquer » les personnes dans leur chambre sans aucune sortie (même pas dans le couloir) ni aucune visite de qui que ce soit (famille, associations, aumônerie etc.) n’a pu empêcher le virus d’entrer. Il fallait quand même bien les soigner, les alimenter. Le virus est devenu opératoire au bout de quelques semaines de confinement en sus du syndrome de glissement qui s’est doucement mais surement installé et des complications d’une prise en charge différent des maladies et handicaps vécus (complication par exemple d’un décubitus exacerbé par manque de mise au fauteuil, manque de déambulation ...). Les décès sont attendus et ne pourront pas être empêchés réellement. Si ce n’est le virus aujourd’hui, ce sera le syndrome dépressif et de glissement sans compter toutes les autres raisons du décès.

On est en droit d’attendre vue la mortalité française et en particulier à ces âges là que sur les 200-300 000 décès par an en EHPAD en France, plus de la moitié le soit dans le contexte de ce virus, mais sans celui-ci ils seraient décédés d’une autre raison dans les mêmes délais.

 Que conclure ?

La vie n’a jamais été aussi longue depuis que l’humanité existe et avec une qualité de vie assez exceptionnelle jusqu’aux deux dernières années de vie, au moins dans les pays riches, dont la France. C’est une chance. L’humanité est cependant faillible et la mort est le propre de la vie. Le coronavirus nous le rappelle. Si l’accompagnement doit être fait de manière optimale pour toute personne âgée ou non, notamment par l’octroi de traitements (si les personnes les supportent évidemment) il faut aussi permettre à ce que la vie se continue à travers la filiation qui sera endeuillée mais capable de donner du sens à la vie de celui qui meurt. Avoir une attitude de confinement actuel est à l’inverse de la notion d’humanité.

 

COVID et GRIPPE (influenza).

Peut –on dire que la crise est plus grave que l’épidémie de grippe annuelle ?

Oui, le coronavirus est plus grave que la grippe. Mais osons rappeler plusieurs éléments. La grippe a pourtant tuée 8100 en 2019, et ce sur les mêmes personnes fragilisées [12].

En terme épidémiologique, la grippe a touché en 2019 plus de 1,8 millions de personnes grâce aux tests sanguins mais probablement aura touché entre 2 à 8 millions de personnes en France.

On a constaté plus de 65 600 passages aux urgences. Plus de 10 700 hospitalisations pour syndrome grippal et plus de 1 890 cas de grippe grave admis en réanimation

  • Si au moins 8 100 décès ont été alors attribuables à la grippe durant l’épidémie, l’institut Pasteur dit que 10 à 15000 décès par an sont imputables à la grippe, même si  le chiffre est variable selon la gravité de l’infection du fait de la variabilité de la virulence du virus influenza qui mute année après année. [13]
  • La majorité des cas graves (83%) présentait au moins un facteur de risque de grippe grave.
  • Pourtant, comment ne pas se poser la question d’un tel chiffre alors que le vaccin existe ? Comment comprendre que la population française en 2019 ne s’est faite vaccinée que dans MOINS DE 40 % en général et plus grave encore dans moins de 47 % parmi la population à risque, notamment les personnes âgées ou que les soignants eux-mêmes ne se vaccinent qu’à hauteur de 30-40% !12

 

Le virus COVID et la pédiatrie.

Faut-il faire peur aux familles du COVID vis à vis de leurs enfants ?

Il est toujours important de parler des décès de chaque enfant. Prenons des situations dramatiques déjà connues.

Morts d’enfant pour d’autres raisons que le COVID ?

  • La Mort subite du nourrisson tue en France encore 150 à 200 enfants qui allaient bien par an sans aucune maladie retrouvée. Par chance, aucune mort inopinée du nourrisson n’a été retrouvée COVID +  durant cette période actuelle.
  • Dans la bronchiolite (virus à VRS) plus de 30 % des nourrissons de moins de 2 ans ont contracté le virus VRS, c'est à dire 46000/an en France, entrainant environ 500 hospitalisations et  20-30 décès par an [14]- [15] .

Le COVID.

Depuis le début de la pandémie (en Chine notamment), les atteintes cliniques symptomatiques sont rares en pédiatrie, exceptionnellement graves et quasi pas de décès. Actuellement la mortalité par COVID 19 est donc quasi nulle. Quelques rares cas dans le monde (5 dénombrés) et pas de réelle connaissance de leur comorbidité associée décrite dans les publications [16].  

  • Alors pourquoi ne pas rassurer ces parents qui craignent pour leurs enfants au point de ne plus vouloir les voir, les embrasser.
  • Confinement ? Puisque les enfants sont atteints de manière assez anodine, voire porteurs sains, ne doit-on pas dire que plus vite ils seront immunisés, moins ils seront diffuseurs de la maladie et dans les quelques semaines suivantes pourront retourner voire leurs grands-parents, aller faire du sport et aller sans crainte à l’école. Les garder donc en confinement exacerbe les inégalités sociales, empêchent la vie des quartiers, et surtout amènera assurément une diffusion du coronavirus. sur de longs mois à venir.

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Références 

  1. APM journal du 15.04.2020 
  2. 5 cas décrits dans le monde. 2 enfants intubés ou sous O2 haut débit quelques heures ou jours en soins continus pédiatriques au CHU à ce jour.
  3. Ex. des décès au CHU d’Amiens
  4. APM journal du 15.04.2020 
  5. https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/chiffres/france/mortalite-cause-deces/deces-sexe/
  6. APM journal du 15.04.2020 
  7. Amélioration de la qualité et espérance de vie majeure grâce aux antibiotiques, aux traitements endocriniens, aux substituts, aux traitements anticancéreux  qui guérissent plus de 60 des cancers, aux techniques de soutien (stimulateur cardiaque, ventilation à domicile) etc.
  8. Espérance de vie en France.    (consulté le 15.4.2020)
  9. INSEE  https://www.insee.fr/fr/statistiques/1906664?sommaire=1906743
  10. La dépendance grave est cotée par la cotation GIR  et les plus graves sont GIR 1 ou 2, devant nécessiter une aide quasiment dans tous leurs besoins.
  11. DREES, mai 2017, p. 07
  12. Population et société, 2016 : 531.
  13. Institut Pasteur France.   
  14. HAS.      p.11
  15. Vidal Maladie
  16. Société française de pédiatrie

Alain de Broca est médecin, docteur en philosophie et directeur de l'espace éthique régional des Hauts-de-France