Applaudir les étudiants en santé aussi !

 

Par Catherine Bargibant (13 avril)

Catherine Bargibant

 Applaudir les étudiants en santé aussi !

Auteure : Catherine Bargibant, PhD

 

En pleine crise sanitaire, toute l'organisation hospitalière est bouleversée par l'urgence de s'adapter à l'afflux massif de patients. A l'hôpital, la situation est plus que chaotique : ouvertures de nouveaux services, déménagements pour faire de la place aux lits supplémentaires, chasse aux masques, aux protections, et surtout chasse aux " essources humaines" ! Le personnel soignant, tous métiers confondus, est sur le pont, s'engageant avec énergie, répondant présents aux nouveaux besoins d'une crise sanitaire sans précédent.
Dans le domaine des formations en santé, notamment en soins infirmiers, voilà comment ces bouleversements pourraient se résumer.

Rapidement, l'Agence régionale de santé (ARS) impose d'envisager une "diplômation" aux dates prévues, malgré les mesures de confinement et l'arrêt des cours en présentiel. Cette même ARS recommande d'être "bienveillant" et "compréhensif" avec les étudiants en santé dans ce contexte de crise sanitaire.
Très vite, le télétravail pour les formateurs est mis en place avec l'urgence de généraliser une pédagogie en distanciel respectant la logique de distance sociale. Pourtant, étonnement, presque tous les stages ont été maintenus jusqu'en juillet pour les étudiants en soins infirmiers avec les risques sanitaires que cela suppose

La situation des étudiants de la formation infirmière est alors devenue très inégale car hétérogène :

  • Certains étudiants présumés "sains" ont dû quitter les stages fermant leurs portes (lycée, collèges, crèches...) et se sont vus réaffectés, ou pas, à la crèche de l'hôpital accueillant les enfants du personnel hospitalier. Les autres sont restés chez eux faute de place.

  • D'autres étudiants contaminés, après 14 jours de confinement, continueront leur stage et auront les deux semaines de vacances de Pâques prévues...presque comme une récompense ! Ou bien encore, certains autres développeront le COVID avant ces vacances de Pâques prévues pour "avancer" le mémoire en vue du très prochain diplôme d'Etat. Leur convalescence sera-t-elle studieuse ou fiévreuse ?

  • En revanche, les étudiants en "études promotionnelles", eux, sont "remis à la disposition de l'employeur" en tant qu'aide-soignant, pour un mois dans les "services COVID" pour la plupart. Ils n'auront pas de vacances pour avancer la rédaction du fameux mémoire. D'ailleurs, comment réfléchir quand on a fait 56h dans la semaine ou 60h de nuit consécutives sans espoir de repos compensatoire pour "rattraper" les cours en distanciel qui continuent sans eux ; le tout en gardant leurs enfants confinés à domicile et en espérant de ne pas les contaminer.

  • Encore d'autres, volontaires, travaillent, au sein de l'hôpital ou ailleurs, comme ASH, brancardier ou aide-soignante, selon leur niveau de formation. Ils n'auront pas de vacances, ne suivront pas les cours à distance que les formateurs essayent, tant bien que mal, de réinventer. Pourtant, ils ont, eux aussi, un mémoire (ou d'autres échéances) à rendre à une date " généreusement " repoussée localement de un mois.

Hommage à eux TOUS quelle que soit leur situation ! D'ailleurs, TOUS sont applaudis à 20H...mais...

Des questions éthiques se posent à moi, formatrice en télétravail :

  • Devant tant de situations individuelles différentes, quid de l'équité et de l'égalité des chances en formation ? Mais aussi, quid de l'état des ressources psychiques dans ces situations très inéquitables autant que risquées?

  • Que veut dire la "bienveillance" en situation d'examen ? Aussi, "comprendre" ces situations suffit-il à être bienveillant, et ce, toujours en situation d'évaluation ?

Les formateurs et leur direction, forts de leur expertise pédagogique, n'auraient-ils pas dû désobéir aux injonctions contradictoires des tutelles ? Personnellement, je les ai trouvés choquantes et indécentes, mais j'y ai pourtant adhérée, impuissante, voire montrée du doigt ? Ou bien, peut-être que les responsables de la formation ont-ils eu raison de se soumettre à ces recommandations, évitant les bavardages inutiles et le chaos des palabres stériles alors que l'urgence aurait été d'agir ?

Sincèrement, quand j'applaudis les soignants le soir à 20h, ce n'est pas à moi que je pense !

 


 

 Catherine BARGIBANT est infirmière, docteure en sciences de l'éducation, cadre de santé à l'IFSI du CHRU de Lille et membre de la commission consultative de l'EEHU de Lille.