L’angoisse de Robinson Crusoé.

 

Par Thierry Danel (8 avril)

Thierry Danel

Auteur : Thierry Danel MD, PhD

Le roman de Daniel Defoe raconte l’échouement d’un navire au décours duquel, l’un de ses passagers, Robinson Crusoé, unique survivant se retrouve seul  sur une ile.

Alors qu’il aura tout pour survivre, rien ne lui manquera hormis la compagnie des hommes. La souffrance engendrée par cette solitude le conduira à mettre en scène une vie sociale avec les objets inanimés auxquels il donnera vie, jusqu’à ce qu’un homme, Vendredi,  le rejoindra et lèvera son tourment.

Le confinement est l’une des réponses cruciale à la crise sanitaire du Covid-19.  C’est une crise sanitaire certes, mais si elle est  aussi  économique et sociale, elle est psychologique et anthropologique.

Alors que rien ne va manquer à des personnes vivant seules, le confinement peut être une source de souffrance psychique majeure alors qu’elles ne présentaient ni troubles mentaux, ni maladies somatiques, ni difficultés sociales ou financières antérieurement.

La nature de cette souffrance peut s’apparenter au désespoir : angoisse, sentiment de vide, impression que le temps se fige.

Il ne s’agit pas de la conséquence d’un isolement sensoriel : il y a télévision, radio, musique, ordinateur, livres à profusion.

Il ne s’agit pas non plus la plupart du temps d’un isolement affectif, il y a le téléphone avec les proches, il y a la sollicitude des associations, les numéros de téléphone d’aide psychologique.

La souffrance de cette solitude est dans ce besoin foncier, originel du besoin de l’autre, de manière charnelle. Exigence anthropologique afin d’éviter l’abime de l’angoisse de la solitude qui renvoie à l’angoisse d’abandon. On a fait l’expérience de ce vide et de cette angoisse abyssale lorsque, tout enfant, l’abandon nous figeait. Le simple visage de l’autre, une caresse la levaient immédiatement.

Et l’on est  dans une impasse car la seule solution possible, rompre son isolement nous confronte alors à la peur de contracter la maladie et la possible mort dans la solitude d’une chambre de réanimation où la visite des proches est interdite et les soignants masqués. Et la peur de contaminer ceux qu’on aime avec une culpabilité psychiquement insupportable. Ainsi la seule solution pour mettre un terme à la souffrance actuelle est une solution qui elle-même engendre de la souffrance. Briser la solitude d’aujourd’hui pour nous conduire à la solitude de demain. Alimenté en cela par le passage en boucle à la radio ou à la télévision de la probable dangerosité de nous-mêmes envers les autres et des autres envers nous-mêmes. 

On est figé dans l’impossibilité d’agir.

L’impuissance de l’enfant que l’on était pour mettre fin par soi-même à la souffrance subie.


Thierry Danel est médecin psychiatre, directeur de la Fédération régionale de recherche en santé mentale, et membre de l'espace éthique de la F2RSM.