Pour une éthique des funérailles en période de pandémie.

 

Par Bernard Fery (2 avril 2020)

Bernard Féry

            POUR UNE ETHIQUE DES FUNERAILLES EN SITUATION DE PANDEMIE

Auteur : Bernard Féry 

La pandémie du fait du coronavirus suscite bien des questions, dont celle des risques sanitaires encourus et, concomitamment, celle hélas des funérailles. Leur revue au contact des textes réglementaires qui correspondent, révèle une insuffisante considération des proches endeuillés et même de toute la société confrontée, en ces temps difficiles, à la morbidité.

Tout se passe comme si les pouvoirs publics s’étaient gendarmés pour les étapes en amont, principalement la mise en bière, au regard des risques d’infection possibles par le fait du corps contaminant. Pour le reste, il n’y a pratiquement aucune prise en compte d’autres risques éventuels en situation de pandémie. Lois, décrets, circulaires, Avis ou recommandations n’en disent mot. Aussi convient-il de s’interroger sur les raisons qui conduisent à un tel luxe de détails et de prescriptions pour la mise en bière, et une telle absence de considération pour les autres étapes qui, de surcroit, convoquent le public.

PETITE HISTOIRE REGLEMENTAIRE DES FUNERAILLES

Il y a longtemps que le législateur a voulu se dessaisir en matière de funérailles, en responsabilisant des tiers. Déjà par la loi du 15 novembre 1887 qui garantit le respect des dernières volontés des défunts : « Tout majeur ou mineur émancipé… peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner », ce texte confirmant du coup le principe du libre choix. Par la suite, d’autres textes ont été promulgués comme ceux régissant la mission de service public des Pompes funèbres, ouvrant peu à peu sur une certaine flexibilité, à la demande. Notamment la loi n° 93-23 du 8 janvier 1993 qui rompt le monopole communal en matière d’organisation des obsèques au profit des entreprises de Pompes funèbres ou autres acteurs, ce en protégeant les familles endeuillées. Même la conservation du corps et sa préparation en vue de la cérémonie funéraire, ne sont plus une prestation obligatoire des P.F. Ainsi, petit à petit, de nombreux textes, d’orientations diverses, interférèrent dans le champ des funérailles, provoquant un émiettement des intervenants. Cette décentralisation des responsabilités, sans pour autant traiter des risques sanitaires éventuels sur toute la chaîne, ont fait des proches et de toute la société, les oubliés de ces réformes.

En fait, les funérailles sont un objet trop encombrant pour les pouvoirs publics, et la mort encore plus. Le législateur n’a donc pas eu très envie de reprendre cette question des risques sanitaires liés aux funérailles surtout quand on sort d’une pandémie. Car elle se trouve reléguée, quand elle a lâché prise, à un pur évènement pour les livres d’histoire. Ni le législateur, ni les services publics n’ont eu l’idée de travailler au retour d’expérience. D’autant que les funérailles, cela vous met en tenailles entre familles, cultes et partisans de la laïcité à la française ou pas. Dossier compliqué ! Donc, les choses continuèrent à se passer sans prendre en considération ni le chagrin des familles perdues dans une société qui se demande ce qu’est le deuil, ni le problème sociétal à l’échelle du pays voire du monde, quand la pandémie survient.

LES FUNERAILLES, UNE PRATIQUE ANTHROPOLOGIQUE INCONTOURNABLE

Paradoxalement les funérailles – particulièrement les obsèques -, sont peu prises en compte par les pouvoirs publics, c’est-à-dire par notre société. Or elles constituent, dès les origines, un acte sociétal fort, à la base même de la civilisation : l’homme, depuis la nuit des temps, ensevelit ses morts en présence d’une communauté. Les paléontologues et anthropologues ont montré que les arts funéraires sont à la racine de la et des cultures, donc des civilisations. Nous ne citerons ici qu’un des leurs aux publications récentes : Pascal Moreaux. Dans « Quelques aspects de l’histoire funéraire dans la civilisation judéo-chrétienne », il écrit « les rites funéraires se modifient lentement, mais ils bougent comme l’on peut s’en apercevoir dans quelques aspects de la longue histoire funéraire liée intimement à la vie des Hommes. Ils font partie de notre culture. »

 Les funérailles continuent en effet de porter, au-delà des cultes, rites et croyances, une symbolique à la fois mémorielle et d’appartenance. Les évolutions observées durant les dernières décennies comme la disparition du deuil ostentatoire, le recours accru à la crémation ou encore le développement de funérailles virtuelles sur les réseaux sociaux et l’internet, toutes ces tendances ne peuvent laisser penser que les proches, petit à petit, se désintéressent de la mort lorsqu’elle s’invite dans les familles. Au contraire : ils veulent vivre d’une façon plus adaptée, ces moments intenses et parfois déchirants sur la base du souvenir et du partage. Des communautés originales continuent à se former à l’occasion d’obsèques, avec ceux qui connaissaient le défunt et l’aimaient. Ces évolutions récentes n’ont pas amoindri la question du deuil. Alors pourquoi les pouvoirs publics s’en désintéressent-ils, particulièrement en situation de pandémie, dans le genre : « circulez, il n’y a rien à voir » ?  

COMMEMORER DAVANTAGE, SURTOUT EN TEMPS DE PANDEMIE

 Les pouvoirs publics veulent toujours « protéger » les gens. Pourtant la question de la mort, dans sa cruauté, se pose toujours depuis des siècles et millénaires. Avec le corrélatif :  qu’est-ce que l’on fait du corps ? La dépouille du défunt ne saurait être laissée pour compte. Elle matérialise le devoir pour l’homme de lui trouver un statut, un traitement, une célébration. Depuis des millénaires, il y a des soins, des paroles, des cérémonies, des rites pour honorer et valoriser à travers le corps, la vie du défunt et pour le préparer à un au-delà possible.

 Le sentiment de culpabilité qui pourrait résulter d’un abandon pur et simple de la sépulture, en niant le corps, est trop vivace, encore aujourd’hui, pour que l’on s’affranchisse de la célébration de funérailles. Les charniers que l’histoire parfois nous a laissés jusqu’aux guerres récentes, révéleraient-ils une autre culture funéraire, forcément collective, qui nierait celle trop égocentrique d’une tombe ou urne pour chacun ? Non : ces charniers continuent de nous effrayer, de nous indigner. Ils suscitent des procès contre leurs initiateurs. C’est dire que le besoin des funérailles particulières perdure. Il coexiste à l’homme. A chacun de nous.

 Au-delà ou en-deçà d’un débat philosophique ou interconfessionnel, il nous faut donc aujourd’hui reprendre cette question sociétale du sens des funérailles, au lieu que des textes plus ou moins réglementaires écrasent les besoins que suscitent souvenir et amour du défunt. La période actuelle de pandémie oblige à recentrer les pratiques funéraires non sur les seuls risques sanitaires mais aussi sur les souhaits des proches et par là de toute la société. On a dit, à propos du coronavirus, que « nous étions en guerre » : sachons commémorer comme il le faut celles et ceux qui sont disparus, même si nous ne faisons plus de cimetières militaires. C’est une question d’« éthique ».


Bernard Féry est membre du Conseil d'orientation de l'espace éthique des Hauts-de-France