Le traçage en dynamique. Entre peur et défiance ? (StopCOVID- texte N°4)

Le groupe de reflexion de l'espace éthique des Hauts-de France (Nathalie Assez, Alain de Broca, Louis de Carbonnières, Robin Cremer, Nathalie Ducarme, Marie Lamotte, Yann Serreau, Margaux Taccoen, Stéphane Zygart) propose une série de textes sur le traçages des porteurs du virus de la Covid-19.

Ce quatrième texte s'interroge sur la peur.

 

Ces textes signés de leur auteur reflètent tous des points de convergence (accord fort ou accord faible) identifiés lors des discussions du groupe.

Alain de Broca MD, PhD

 Le traçage en dynamique.  Entre peur et défiance ?            

Alain de Broca   

 

En sus des différents éléments déjà suggérés dans les textes précédents, le traçage en dynamique pose de nombreuses questions sur le risque de mise en danger des valeurs qui fondent notre société. Deux éléments, la peur et la défiance, que chaque citoyen a ressenti ou ressent encore durant cette pandémie mettent à mal les valeurs qui fondent notre société.

Depuis le début de la pandémie, la peur s'est installée en tout lieu. Plus encore, la politique de santé publique de ces dernières semaines s'est construite autour du sentiment de peur. Plusieurs raisons à cela.  Comme le montre les autres articles du dossier, le traçage dynamique pour être efficace devra être universel, permanent voire coercitif. Malgré les avantages techniques et épidémiologiques demandés par les experts en macroéconomie - en macro santé, ce système va amener chacun à se sentir épié, exposé toujours sous le coup d'une réprimande. Quelle personne surveillée pourra se sentir apaisée par de telles procédures ?

Pourquoi une telle surveillance ? De quelle(s) peur(s) parlons-nous pour vouloir imposer une telle surveillance, un tel confinement, une telle distanciation sociale ?

La pandémie est venue comme un tsunami bouleverser toutes les assurances autour desquelles la société moderne matérialiste voire transhumaniste se construit à savoir la capacité de l'humain à devenir immortel ou plutôt amortel (E. Morin1960) [1]. Cette dernière idée est en effet mise à mal par un virus, minuscule élément invisible . Celui-ci par sa diffusion vient rappeler la fragilité de tout être biologique. La diffusion entre humain, le sentiment que rien ne peut l'arrêter, la mort pour certaines personnes après avoir contracté ce virus sont autant d'arguments pour être défiant de tous et de tout. La peur envahit le monde.

Il faut donc tout vérifier, tout maitriser, et si possible tout identifier dès que possible. Les techniques de traçage en vue de connaitre les lieux de propagation de l'infection, et celles permettant de suivre chaque personne dites malades ont été proposées pour combattre la diffusion de ce mal. Qu'en est-il des raisons de ces peurs ? Est-il nécessaire de maintenir la population dans un état de stupeur pour lui faire faire ce que les experts semblent penser être bon pour la population. ?

Est-il fondé d'avoir peur et peur de quoi?

Les stratégies politiques actuelles se s'appuient sur des chiffres et principalement sur des chiffres mortalité survenant chez des personnes ayant contracté le virus.

Si le nombre des décès lié au COVID est important, ne faut-il pas tenter de garder raison en les évaluant à l'aune des autres chiffres disponibles [1]. La mortalité par COVID n'est qu'une partie des décès (20%) que la France enregistre jour après jour. Faut-il faire peur à toutes les populations comme si le COVID avait le même risque pour tous. Les chiffres montrent que la mortalité par COVID est dans plus de 95 % des cas liés à des personnes atteintes de comorbidité grave et donc souvent chez des personnes âgées. Les populations pédiatriques et des adultes (sans comorbidité) sont exceptionnellement en danger. La peur doit-elle être au centre d'une stratégie de prévention et d'éducation à la santé pour ces populations alors que de nombreuses études soulignent que la peur est un moteur dans ce contexte (cf. texte de N. Assez) ? En effet tout concorde désormais à dire que chaque personne doit se sentir partie prenante de sa maladie (stake-holder) pour se responsabiliser (empowerment) plutôt que de se sentir soumis à des propositions d'experts. Le traçage ne revient-il pas un à nouveau type de paternalisme que nous avions pourtant tenté de mettre de côté depuis notamment la loi du 4 mars 2002 ?

La peur est aussi une option politique dangereuse. L'humain est en effet fragile. Il est un être qui vacille facilement dans ses propres valeurs [1]. L'histoire nous montre combien l'humain a la propension de renvoyer une image d'agresseur sur celui qui est différent et celui qui fait peur. En fait, ce n'est pas en passant à côté du virus que " je " suis alerté mais d'un passant, transformé en porteur de virus. L'autre tend à devenir l'envahisseur puisque le virus qu'il porte pourrait " sauter " sur moi. L'autre devient alors un cheval de Troie. Comment faire pour ne pas me faire violer par ces choses que "je" ne domine pas ?

Haro donc sur celui- celle qui pourrait être contaminé(e ) et donc contaminant(e) ! La déshumanisation de l'autre risque d'être ainsi peu à peu mise en place. L'autre ne deviendrait plus l'autre, autre que moi-même, mais un mobile perverse, qui sans le savoir pourrait me rendre malade ? La mise en place de cette manière de parler d'autrui a été à la base des atrocités faites entre différentes ethnies comme nous le rappellent malheureusement certaines atrocités du siècle dernier, nous prouvant que l'humain peut atteindre des sommets de violence envers autrui dès qu'il a dénaturé son humanité en transformant l'autre en porteur de maladie, et en désubjectivant la personne au point de ne voir autrui que comme un " cafard " (drame du Rwanda)3.

La peur ne peut qu'entrainer de la défiance. Quand la solidarité, c'est à dire la volonté de vivre ensemble positivement, demande de la confiance, la politique de traçage entraine cette défiance. Qui surveille qui, et quelle sera la finalité de la surveillance ?

Tracer une personne tout au long de sa vie peut-il le rendre plus libre ? Si comme nous le savons, nombre d'entre nous acceptons d'être tracés avec son smartphone via les applications mises en place par soi-même, peut-on cependant accepter que le traçage deviennent une fin en soi, tant pour ses activités de plaisirs que par contrainte de vie en société ? La liberté devient-elle une seule façade mentale quand tout votre être est suivi de l'intérieur ?

La peur et la défiance sont aujourd'hui deux mobiles du pouvoir. Ne faut-il pas proposer de mieux construire ensemble en s'appuyant sur l'intelligence collective, comme cela est fait désormais en éducation thérapeutique pour éviter ce qui est évitable et accepter ce qui est de l'ordre de l'énoncé de la vie c'est à dire accepter que la vie n'a de sens que parce que l'être est mortel.

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Références

  1. Morin E. L'homme et la mort, Paris, Seuil 1970,
  2. de Broca A. Est-on cynique à vouloir discuter des chiffres ? publié le 16.04.2021
  3. Vallière Luhahe G., Rogon F . Rwanda après le génocide des Tutsi : les juridictions " Gacaca ", une justice pédagogique, pénale et restauratrice. Elsevier - Masson ; Ethique et santé, 2017 : 78-85

  • Alain de Broca est médecin et docteur en philosophie.