La CNERER et le CCNE publient une synthèse des débats sur la fin de vie

245 débats ont été organisés par les ERER entre le 01/05/2022 et le 10/04/2023 réunissant environ 40 000 participants au total. L’objectif de ces réunions était, avant tout, d’informer les citoyens sur les grands enjeux relatifs aux situations de fin de vie. Les membres du CCNE ont réalisé 80 interventions.

 

 

                                                                    

Le CCNE a publié l’Avis 139 sur les enjeux relatifs aux situations de fin de vie le 13 septembre 2022. L’Elysée a réagi quelques heures plus tard en déclarant dans un communiqué de presse que cette question de la fin de vie devait être débattue de manière approfondie par la Nation, et en annonçant d’une part la constitution d’une Convention citoyenne dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental (CESE), et d’autre part l’organisation par les espaces éthiques régionaux (ERER) de débats dans les territoires « afin d’aller vers tous les citoyens et de leur permettre de s’informer et de mesurer les enjeux qui s’attachent à la fin de vie ». La collaboration entre les ERER et le CCNE qui s’est ensuivie, a permis de proposer 245 débats dans 122 villes françaises, rassemblant près de 40 000 citoyens, entre mai 2022 et avril 2023.

 Un exemple de collaboration entre les Espaces de Réflexion Éthique Régionaux (ERER) et le CCNE

Les Etats généraux de la bioéthique 2018 avaient permis de construire un partenariat entre les Espaces de réflexion éthique régionaux et le CCNE, pour diffuser de façon continue la culture éthique sur l’ensemble du territoire. La loi de bioéthique de 2021 a d’ailleurs prévu officiellement que le CCNE « anime, chaque année, des débats publics sur un ou plusieurs des problèmes éthiques et des questions de société mentionnés à l'article L. 1412-1, en lien avec les espaces de réflexion éthique… ». Le développement d’une intelligence collective durable sur les sujets de bioéthique est en effet essentiel à l’élaboration de politiques publiques conformes aux attentes sociétales, compatibles avec les valeurs nationales, et respectueuses de « l’éthique à la française ». Approfondie durant la crise sanitaire, cette collaboration s’est donc poursuivie en parallèle de la création de la Convention citoyenne sur « la fin de vie ». Ainsi, le CCNE a mis au point dès 2022, avec les ERER, une feuille de route anticipant la planification de réunions publiques, entre le 01/05/2022 et le 31/03/2023, afin de sensibiliser, d’informer les citoyens français, et de les encourager à s’approprier les enjeux éthiques relatifs à la fin de vie.

Des approches différenciées pour des publics diversifiés

 Les réunions organisées par les ERER, en collaboration avec le CCNE, ont pris des formes extrêmement diverses et innovantes : conférences, théâtre-débats, webinaires, cin’éthique et projections, cafés éthiques, apér-éthiques, reportages, lectures par des comédien(ne)s, colloques, ateliers, concertations ou rencontres citoyennes, débats-étudiants, modules d’enseignements, émissions de radio ou TV, enquêtes, forums, conférences de presse… et ont permis de toucher un public large et hétérogène : lycéens, étudiants (médecine, para-médical, sciences sociales, économiques, sociologie, philosophie…), soignants (infirmiers, médecins, sages-femmes…), enseignants, universitaires, professionnels du domicile, aides-soignants, aide-ménagers, libéraux ou publics, membres de conseils départementaux, personnels municipaux, personnels administratifs des EHPAD, directeurs d’établissements sanitaires et médico-sociaux, retraités, résidents et familles des EHPAD, usagers des clubs séniors, personnels associatifs, bénévoles, membres de comités d’éthique locaux ou associés à des centres hospitaliers (CH ou CHU), grand public et usagers du système de soins, représentants des cultes, adhérents de la Fédération de référence du secteur privé solidaire (FEHAP) et France Assos Santé, et bien sûr personnes en situation de handicap ou poly-handicap,et/ou atteintes de cancer ou de pathologies graves. 

Le souvenir de la pandémie Covid-19 dans tous les esprits

 De façon homogène sur l’ensemble du territoire, les participants aux réunions publiques organisées ont partagé leur réflexions et interrogations sur l’accompagnement des personnes en fin de vie, en y mêlant des témoignages, ressentis, peurs, regrets, découlant directement de leur expérience de la crise Covid-19. Les interdictions de visite imposées par les autorités pour limiter la propagation du virus dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux et réduire la mortalité associée, la solitude induite des mourants et des accompagnants, les restrictions qui ont bouleversé voire parfois empêché l’organisation des rites mortuaires ou les rassemblements familiaux, ont complexifié les deuils et généré de fortes souffrances psychiques qui persistent trois ans après la fin de l’épidémie Covid-19. Celle-ci dont les conséquences psychologiques en population générale à long-terme doivent absolument être anticipées, a en effet exposé, de façon brutale, anxiogène et crue, la mort, et endolori le rapport que chacun entretient avec la fin de vie, la sienne et celle des autres. Elle a mis en lumière l’universelle vulnérabilité, les difficultés, la sidération, voire l’effroi rencontrés par les populations occidentales lorsqu’il s’agit de faire face à la finitude.  

Des échanges sereins, apaisés, et libérateurs

 Les évènements organisés dans les différentes régions ont permis de mesurer, d’accueillir et d’atténuer les sentiments d’impuissance, d’inquiétude et de fragilité qui contrarient l’appréhension de la mort pour une grande partie d’entre nous. De nombreux participants ont exprimé leur soulagement voire la libération suscitée par les échanges qui ont pu se tenir, qui les ont aidés à s’interroger sur leurs propres limites, à prendre conscience de la singularité de leurs besoins, à découvrir l’ensemble des dispositifs existants ayant vocation à accompagner, apaiser et soutenir les personnes en fin de vie. Ils ont témoigné, largement, du fait que parler de la mort contribue à son apprivoisement et favorise l’évacuation des angoisses qu’elle soulève.

Par ailleurs, les membres des ERER qui ont animé les diverses réunions se sont réjouis d’avoir assisté à des échanges sereins, respectueux des opinions et sensibilités de chacun. Alors que les problématiques relatives à l’accompagnement des personnes en fin de vie avaient tendance, il y a encore quelques années, à tendre voire hystériser les débats, la société française semble aujourd’hui mature et prête pour le déploiement d’un questionnement collectif rigoureux, dans un climat d’écoute et de tolérance. Les positions idéologiques n’ont pas pris le pas sur les raisonnements argumentés. L’attention portée aux nuances, la compréhension de la multiplicité des situations et des enjeux inhérents à la prise en charge des personnes en fin de vie, ont permis d’approfondir les sujets évoqués dans toute leur épaisseur, et de faire surgir, çà et là, au cœur des rencontres, un certain nombre de points de consensus. 

Avec prudence, les principaux points suivants ont émergé de la discussion

 Les participants aux réunions ont émis quelques conclusions communes au cours de leurs échanges : 

1.           La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, est insuffisamment connue, aussi bien par les citoyens que par les professionnels de santé. Les dispositions qui la composent ne sont pas toujours bien comprises, compromettant sa juste application. Trop peu de personnes savent pouvoir désigner une personne de confiance ou rédiger des directives anticipées pour faire valoir leurs volontés en cas d’accident ou au lors d‘un parcours de fin de vie.

2.           Les périls liés à l’obstination déraisonnable ne sont pas encore assez perçus et anticipés. Un certain nombre de décisions médicales contreviennent aux recommandations de bonnes pratiques et génèrent des situations insolubles, marquées par des souffrances réfractaires, et complexifiant l’abord de la fin de vie. Il est précisé au cours des débats qu’il existe une différence entre la volonté d’atténuer une souffrance et la volonté de supprimer toute souffrance. La souffrance, si elle ne disparaitra jamais totalement, peut s’apaiser. La prudence est donc de mise lorsque l’on parle de «  souffrance qui ne peut s’apaiser ». Supprimer toute souffrance est un idéal inatteignable. Apaiser est un accompagnement difficile, modeste et long car la souffrance relève de dimensions complexes.

3.           La "culture palliative“ n’est pas suffisamment développée en France, les inégalités d‘accès aux soins palliatifs, la possibilité tardive d’entrée dans des soins palliatifs , la présence insuffisante de professionnels formés à l’accompagnement des personnes en fin de vie et de médecins coordinateurs, les moyens associés, sont sous-déployés, en particulier au sein des EHPAD et à domicile.

4.           Les dispositifs d’accompagnement voués à soulager les souffrances psychiques, ainsi qu’à la prise en charge des pathologies mentales et psychiatriques liées au grand âge, sont insuffisamment développés.

5.           La place des proches dans l’accompagnement des personnes en fin de vie n’est pas toujours clairement définie. Un certain nombre de questions ne trouvent pas systématiquement de réponses concrètes sur le terrain : que vaut le témoignage d’un proche quand la personne mourante ne peut plus s’exprimer ? Que peut-il faire ou exprimer pour l’accompagner ? Quelles aides peut-il recevoir, qu’il s’agisse d’un parcours de fin de vie vécu en structure hospitalière, médico-sociale ou à domicile ?

6.           Le rôle des associations mérite également d’être précisé, afin de les intégrer plus efficacement et harmonieusement dans les établissements accompagnant des personnes en fin de vie.

7.           Une réflexion sur l’accompagnement des personnes précaires et sans domicile fixe, en fin de vie, doit être menée pour identifier les besoins rencontrés, les problématiques qui leur sont spécifiques. Une société humaniste doit pouvoir prendre en charge et de façon personnalisée, les situations de fin de vie de chacun des citoyens qui la composent. La marginalité ne peut en aucun cas justifier l’abandon.

8.           Malgré l’extrême difficulté du sujet, une réflexion quant aux modalités d’accompagnement des mineurs en fin de vie doit être conduite pour que des réponses adaptées, mesurées, respectueuses de leur écosystème familial, puissent être apportées aux situations les plus complexes.

9.           La société doit apprendre ou réapprendre à penser la mort, à l’accepter, pour mieux la vivre et l’accompagner. Un travail de construction ou de rénovation des représentations collectives, culturelles, anthropologiques, sociales, doit être mené pour recouvrer un rapport sain à la fin de vie, la réintégrer au cœur de l’existence et en reconnaître le sens et la portée, tant au plan individuel que collectif. 

10.        Un certain nombre de personnes ayant participé aux réunions ont indiqué – sous réserve d’un renforcement significatif des moyens en matière de soins palliatifs, mais aussi d’accompagnement du grand âge et de soin psychique – ne pas être défavorables à une évolution du cadre légal, et à une autorisation de l’aide à mourir, en soulignant que celle-ci nécessiterait une grande vigilance et un encadrement très strict, et en mettant à part le cas des mineurs et celui des personnes atteintes d’une maladie psychique.

Un certain nombre de participants, notamment parmi les professionnels de santé, et singulièrement parmi les médecins de soins palliatifs et médecins coordonnateurs en Ehpad, expriment de leur coté de grandes réserves par rapport à une telle évolution. Inversement une modification législative en faveur du suicide assisté apparait acceptable, notamment chez les plus jeunes (débats lycéens), le suicide assisté y étant perçu comme « ultime liberté », permettant d’abréger la durée de l’agonie et d’« entrer dans la mort les yeux ouverts ». L’ « exode forcé » vers des pays comme la Suisse ou la Belgique est quant à lui perçu comme « une atteinte à la dignité humaine ». Cette perception diffractée de la dignité interroge sur le mal mourir en France dont le constat est repérable tant chez les jeunes que chez les anciens.

 Conclusion

Il est intéressant de noter que les principaux points qui ont été soulignés par les citoyens lors de ces débats rejoignent la réflexion menée par la Convention citoyenne, avec cependant quelques nuances : ils ont davantage mis en exergue l’importance du rôle des aidants, la complexité de certains parcours de deuils, et la nécessité de penser la singularité des situations de fin de vie des personnes les plus vulnérables, telles que les personnes sans-abri (SDF). 

Références

- Avis 139 du CCNE, Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité. 13 septembre 2022. Voir : https://www.ccne-ethique.fr/node/529

- Communiqué de presse de l’Elysée, Lancement du débat sur la fin de vie. 13 septembre 2022. Voir : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2022/09/13/lancement-du-debat-sur-la-fin-de-vie

- Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie, CESE. Avril 2023. Voir : https://www.lecese.fr/sites/default/files/documents/CCFV/Conventioncitoyenne_findevie_Rapportfinal.pdf